consommation alcool

L’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que l’épidémie de Covid-19 était devenue pandémie le 11 mars 2020. Afin de freiner la propagation de cette maladie contagieuse en France, l’ensemble de la population a été mise en quarantaine.

Cette situation inédite, qui dure depuis plus d’un mois et a été reconduite pour plusieurs semaines, peut engendrer ou favoriser une souffrance psychique importante et induire des modifications des comportements.

Trois problématiques étroitement liées se posent en effet aux personnes en quarantaine : supporter le confinement, interrompre brutalement les activités habituelles et développer de nouvelles habitudes.

Une augmentation des risques de consommation d’alcool

Être confiné implique à la fois d’être en mesure de supporter l’anxiété, la frustration et le stress induits par cette situation de restriction involontaire de la liberté de se déplacer et de côtoyer qui l’on souhaite. L’interruption des activités habituelles peut générer un sentiment d’ennui, tandis que le regroupement avec l’entourage familial pourrait favoriser la survenue de conflits interpersonnels.

En outre, l’arrêt de l’activité professionnelle peut être associé à une perte des repères, alors même que ceux-ci pouvaient limiter les comportements de santé délétères, tels que l’usage d’alcool. Cette interruption peut aussi favoriser les préoccupations anxieuses concernant le risque de licenciement ainsi que les difficultés financières.

Enfin, les nouvelles habitudes peuvent consister à se livrer à des activités potentiellement anxiogènes pour tromper l’ennui, telles que le fait de regarder les chaînes d’information en continu. Ces comportements pourraient majorer la crainte d’être contaminé ainsi que les pensées catastrophistes qui s’y rattachent. Parmi ces nouvelles habitudes, l’absence de nécessité de désirabilité sociale peut également conduire à modifier sa consommation d’alcool.

Ainsi, du fait des modifications comportementales et des émotions négatives générées par la quarantaine (stress, ennui, isolement, frustration, anxiété, pensées catastrophistes, conflits interpersonnels, difficultés financières), il est légitime de s’attendre à une majoration de l’usage d’alcool , c’est du moins ce qu’interrogent plusieurs auteurs dont la psychiatre et neuroscientifique américaine Nora Volkow.

Alcool, coronavirus et accès aux soins

Outre les risques bien connus pour la santé physique et mentale qui font du mésusage d’alcool la 2e cause de mortalité évitable en France, on pourrait s’attendre à ce que les comorbidités associées audit mésusage (par exemple les maladies cardiovasculaires ou les infections virales) augmentent les risques de complications du Covid-19. Toutefois, ces relations restent à objectiver, et surtout à quantifier.

De plus, l’alcool modifie la perception des risques. En cas de mésusage, les personnes concernées pourraient être plus susceptibles de se retrouver contaminées par le Covid-19. Enfin, seulement une minorité de personnes présentant un mésusage de l’alcool accèdent aux soins. Cela s’expliquerait en partie par une stigmatisation importante de ces patients, qui pourrait aussi conduire à leur prodiguer des soins suboptimaux. Or, en période de saturation des systèmes de santé, certains auteurs manifestent leur crainte d’une aggravation de ces inégalités.

Pour cette raison, l’International Society of Addiction Medicine a publié des recommandations de prise en charge des patients présentant des conduites addictives durant la pandémie de Covid-19.

Une augmentation du mésusage d’alcool chez les soignants

Malgré ces inquiétudes, peu d’études ont cherché à évaluer spécifiquement l’impact d’une quarantaine sur le mésusage de l’alcool et, à notre connaissance, ce travail n’a pour l’instant pas été conduit dans le cadre de la pandémie en cours.

En revanche, quelques données proviennent des régions de Chine et du Canada qui avaient fait l’objet de mesures de quarantaine lors de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) de 2002-2003. Les soignants avaient alors été particulièrement touchés : ils représentaient 20 % des personnes infectées. Au Canada, 13 à 26 mois après l’épidémie, 769 soignants ont été interrogés afin d’évaluer leur état psychologique. Parmi eux, 587 exerçaient dans 9 hôpitaux de Toronto ayant pris en charge des patients infectés et 182 exerçaient dans 4 hôpitaux d’Hamilton qui n’avaient pas pris en charge ces patients.

Près de la moitié des soignants de Toronto avaient vécu une période de quarantaine. Chez ces soignants, comparativement à ceux d’Hamilton, les prévalences de burnout, de détresse psychologique et de symptômes d’état de stress post-traumatique étaient significativement plus élevées. Parmi les signes de burnout évalués, les usages d’alcool et de tabac étaient augmentés.

Une enquête a également été conduite en 2006 auprès de 549 soignants exerçant à Pékin lors de l’épidémie de SRAS. Ces soignants ont été tirés au sort, et le risque de mésusage d’alcool durant les 6 derniers mois, en fonction de leur niveau d’exposition au SRAS, a été évalué.

Les résultats indiquent que l’existence d’un mésusage de l’alcool trois années après le début de l’épidémie était associée au fait d’avoir été mis en quarantaine ou d’avoir travaillé dans des environnements particulièrement exposés (tels que les unités d’hospitalisations de malades présentant un SRAS). Cela représentait environ 2 critères de dépendance de plus chez les soignants ayant expérimenté la quarantaine et environ 5 critères de plus pour ceux qui déclaraient utiliser l’alcool comme stratégie d’ajustement, y compris en tenant compte des symptômes d’état de stress post-traumatique et de la dépression.

Une revue de littérature concernant l’impact de la quarantaine sur la santé mentale a été récemment publiée dans le Lancet en se basant sur les études réalisées lors de la précédente épidémie de SRAS, mais également durant d’autres épidémies telles que les maladies à virus Ebola ou la grippe A(H1N1).

Les auteurs y signalent que la santé mentale des soignants risque d’être particulièrement affectée en période de quarantaine. Notamment, les soignants pourraient avoir davantage de symptômes d’état de stress post-traumatique, lesquels sont connus pour être associés au mésusage de l’alcool. De plus, ils pourraient se sentir plus stigmatisés que les autres personnes possiblement infectées : risque de rejet de la part de leur entourage amical ou de leur voisinage, risque d’être traité avec suspicion ou d’avoir davantage de tensions intrafamiliales, etc.

Du fait de cette vulnérabilité mentale des soignants aux conséquences de l’exposition à la quarantaine, l’Organisation mondiale de la Santé a publié des recommandations spécifiques à leur attention, leur conseillant notamment d’éviter « les stratégies d’adaptation qui ne [les] aident pas telles que l’usage du tabac, de l’alcool ou d’autres drogues ».

Motiver les raisons de la quarantaine pour préserver la population générale

Concernant les effets délétères de la quarantaine sur la santé mentale en population générale, les principaux symptômes rapportés dans la revue publiée par le Lancet concernaient le stress post-traumatique, la détresse psychologique et la colère.

Les auteurs de cette revue soulignaient que ces conséquences pouvaient s’observer sur le long terme, si bien que l’on peut faire l’hypothèse, au moins pour certaines personnes, qu’un mésusage de l’alcool pourrait s’installer en réaction à ces symptômes. Pour limiter les conséquences délétères de la quarantaine, ils proposent un certain nombre de préconisations.

Ils évoquent notamment l’importance d’une information claire sur le rationnel médical motivant la quarantaine ainsi que sur ses modalités d’application et de favoriser les messages altruistes destinés à inciter la population à accepter volontairement la quarantaine plutôt que de la concevoir comme une contrainte imposée.

Des pistes de recherche nombreuses

Si ces travaux sont informatifs, ils demeurent insuffisants, et des recherches spécifiques sur les relations possibles entre la mise en quarantaine et des modifications de l’usage d’alcool restent à conduire. En effet, les quelques données recueillies auprès de soignants lors de l’épidémie de SRAS ne permettent pas de quantifier avec précision l’impact d’un confinement de l’ensemble de la population française sur les consommations d’alcool.

Quelles sont les motivations à consommer de l’alcool dans une période de quarantaine ? Quels rôles jouent les modifications comportementales propres à cette période, telles que les « e-apéro », la généralisation du télétravail et la nécessité de l’articuler avec le suivi éducatif des enfants, la plus grande proximité avec ceux avec qui l’on est confiné et la distanciation avec le reste des proches, le recours plus important aux réseaux sociaux, etc. ? Les patients dépendants à des drogues illicites, plus difficiles à se procurer en cette période, vont-ils se reporter sur d’autres substances telles que l’alcool, par exemple pour tenter de mieux gérer le manque ? Quel rôle joue l’alcool dans les faits de violences intrafamiliales, telles que la maltraitance infantile ou les violences conjugales ?

De nouvelles études pourraient permettre d’explorer ces questions et d’adapter les stratégies de prévention des risques et des dommages en période de quarantaine (par exemple en informant les personnes confinées sur le risque d’augmenter sa consommation d’alcool), de repérer les populations à risque (en identifiant les personnes plus exposées au risque de contamination telles que les soignants), et d’identifier de potentiels facteurs protecteurs qu’il faudrait favoriser (tels que le fait de pouvoir resté connecté avec ses proches).

Enfin, elles pourraient permettre de mesurer l’impact de l’aggravation des difficultés d’accès aux soins sur l’évolution des conduites addictives, de même que les bénéfices des téléconsultations et des réunions virtuelles de mouvements d’entraide.


Cet article est publié en partenariat avec Addict’Aide, dont la newsletter permet de s’informer sur toutes les questions d’addiction. Le portail Addict’Aide est soutenu par MGEN, groupe VYV.The Conversation

Guillaume Airagnes, , Université de Paris et Anne-Laurence Lefaou, , AP-HP

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image par stokpic de Pixabay

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