Aux États-Unis, l’épidémie du Covid-19 a déjà fait près de 40 000 victimes en quelques semaines. Sans surprise, les Américains les plus touchés par cette crise sont les minorités les plus pauvres. Mais ce qui interpelle vraiment, c’est le nombre impressionnant d’Afro-Américains contaminés par le virus. Le Washington Post rapporte ainsi que dans l’État du Michigan, 40 % des décès dus au Covid-19 proviennent de la communauté noire, alors qu’elle ne représente que 14 % de la population.
En tant qu’épidémiologiste spécialisée dans les aspects sociaux des maladies infectieuses, je n’ai pas été surprise en découvrant ces chiffres. Le nombre élevé de décès au sein de la communauté noire aux États-Unis est en grande partie dû à des siècles de ségrégation et de discrimination qui ont relégué une proportion très élevée de Noirs dans des quartiers pauvres et surpeuplés où l’accès aux services de santé est largement insuffisant.
Les Afro-Américains sont particulièrement vulnérables face à l’épidémie du coronavirus car ils ont plus de probabilité d’occuper des emplois mal payés, qui ne peuvent pas être effectués en télétravail et n’offrent ni assurance maladie ni indemnités en cas d’absence pour maladie.
Les plus pauvres sont plus enclins à être en mauvaise santé
Plusieurs études montrent que les plus démunis et marginalisés sont davantage sujets aux maladies respiratoires et cardiovasculaires, aux cancers et aux accidents vasculaires cérébraux. Ils sont donc aussi les plus touchés par l’épidémie du coronavirus. Aux États-Unis, la pauvreté et l’origine ethnique des individus vont souvent de pair. Une étude menée en 2018 montre que 11 % des Blancs vivent dans des foyers dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté officiel, contre 23 % des Afro-Américains et 19 % des Hispaniques. Les personnes de couleur ont plus de probabilité de vivre dans des quartiers pauvres où l’accès aux biens de première nécessité et aux soins médicaux est restreint.
Il est prouvé depuis longtemps qu’il existe un lien de cause à effet entre la pauvreté et la propagation des maladies infectieuses. Dans les quartiers défavorisés, le nombre de cas d’hospitalisations liées à la grippe est presque le double de celui observé dans les quartiers riches. C’est également le cas pour les hospitalisations en pédiatrie pour cause de pneumonie bactérienne secondaire. Il en va de même pour la tuberculose, très présente dans les quartiers pauvres. Toutes ces tendances ne s’expliquent pas uniquement par le fait que ces zones sont plus peuplées.
La tuberculose est particulièrement liée au statut socio-économique des individus. Au début du XXe siècle, déjà, quand les États-Unis ont été confrontés à une épidémie généralisée de tuberculose, les Afro-Américains, les immigrés et les habitants des quartiers défavorisés furent les plus touchés car ils n’avaient pas accès aux soins médicaux.
Ceux d’entre nous qui étudient la charge de morbidité des pauvres ont vu le même schéma de base se produire aux États-Unis aujourd’hui. Les personnes atteintes de tuberculose sont souvent extrêmement désavantagées sur le plan socio-économique. Les quartiers pauvres et les personnes de couleur continuent à supporter de manière disproportionnée le fardeau de la tuberculose parmi les personnes nées aux États-Unis.
La tuberculose : un exemple révélateur des inégalités sociales aux États-Unis
Il est très intéressant d’étudier le cas de la tuberculose, car il permet de mieux comprendre comment les inégalités d’accès aux soins apparaissent dans la société américaine. La ségrégation résidentielle existe depuis le début du XXe siècle aux États-Unis. Ce processus a toujours défavorisé les minorités ethniques, dont les revenus sont en moyenne plus faibles et qui sont donc contraintes de vivre dans ces quartiers pauvres où elles sont plus exposées aux maladies infectieuses et n’ont pas accès aux soins de façon systématique.
Le développement urbain au XXe siècle a systématiquement profité aux Blancs, déplaçant toujours davantage les communautés de couleur. Celles-ci ont été regroupées dans les mêmes quartiers pauvres, aux conditions de vie très difficiles, avec des logements en mauvais état. Les populations non blanches sont donc plus sujettes aux risques d’infection par la mycobacterium tuberculosis, l’agent pathogène responsable de la tuberculose, et ont moins accès aux soins permettant de la traiter.
Les quartiers les plus défavorisés sont également plus touchés par les maladies chroniques. À titre d’exemple, dans ces quartiers, les taux d’hypertension artérielle, d’obésité et de diabète sont très élevés car la plupart de leurs habitants n’ont pas accès à une alimentation saine et équilibrée et ne font pas ou très peu d’activité physique. Dans ces conditions, les populations ont un système immunitaire plus faible et sont donc plus vulnérables aux maladies infectieuses.
L’un des plus grands ennemis du système immunitaire, c’est le stress. Or le fait même de vivre dans des quartiers défavorisés où règnent discrimination, insécurité de l’emploi, insalubrité des logements et rareté des biens de première nécessité est en soi une source de stress considérable. Cette forte exposition au stress est néfaste pour la santé et le bien-être des habitants de ces zones.
Dans ces quartiers pauvres, les maladies infectieuses comme la tuberculose ou le Covid-19 se développent d’autant plus rapidement que les populations sont davantage exposées aux agents pathogènes et ont généralement un système immunitaire affaibli.
La bombe à retardement du Covid-19
L’épidémie du Covid-19 aux États-Unis semble suivre la même trajectoire que la tuberculose, mais en faisant encore plus de dégâts. Si aucune mesure n’est prise rapidement, les inégalités entre populations pauvres et populations aisées ne feront que s’intensifier dans les années à venir.
Les personnes de couleur sont encore discriminées sur les marchés du travail et du logement. En témoigne le phénomène du « redlining ». Cette pratique de discrimination consistant à refuser des prestations aux minorités existe toujours, mais sous une forme plus subtile que par le passé : les crédits logement leur sont alloués à des taux exorbitants et à des conditions abusives, et les quartiers défavorisés restent mal fournis en biens et services. L’abandon de ces communautés a conduit à une situation où dans certaines zones la vie humaine vaut moins qu’ailleurs, et où il semble acceptable que certaines personnes ne disposent pas des ressources nécessaires pour bénéficier du droit à la santé.
Si des épidémies de maladies infectieuses comme la tuberculose, ou maintenant le Covid-19, peuvent sans aucun doute créer de nouvelles disparités en matière de santé, elles vont presque certainement exacerber celles qui existent déjà, mettant ainsi en évidence les conséquences d’une inégalité à laquelle nous nous sommes tous habitués.
La pandémie actuelle invite les États-Unis à repenser le mode de fonctionnement de leur société. D’autant que l’existence de foyers de Covid-19 au sein de certaines communautés fait courir à l’ensemble de la population le risque que l’épidémie s’installe dans la durée.
Les décideurs politiques devraient placer parmi leurs priorités le projet de s’associer avec les praticiens de santé locaux et les organisations communautaires pour fournir aux communautés à faibles revenus les ressources nécessaires pour faire face à cette épidémie. Ces coopérations devraient réduire voire supprimer le coût des tests et des traitements, et offrir un soutien social et économique aux personnes qui peuvent avoir besoin de s’absenter de leur travail pour suivre un traitement médical, ou qui ont perdu leur emploi à cause du Covid-19. Enfin, à mesure que les possibilités de traitements et de vaccins se développeront, des plans doivent être mis en place pour que ces interventions médicales soient destinées aux communautés à faibles revenus en premier et non pas en dernier lieu.
Grace A. Noppert, Postdoctoral Scholar in Epidemiology, Carolina Population Center, University of North Carolina at Chapel Hill
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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