Parler de réussite scolaire, c’est avant tout parler des élèves, de leur travail, de leurs difficultés, et aussi de leurs projets, de leurs enseignants, de leurs programmes… On néglige souvent le rôle primordial des parents. Pourtant, quel que soit le niveau de leur enfant, dans tous les milieux sociaux, ceux-ci cherchent à les pousser dans leurs parcours scolaires.

Dans « L’intelligence, ça s’apprend », publié en avril 2024 chez Université Grenoble Alpes Éditions, Marie Duru-Bellat, professeur émérite à Sciences Po, et Sébastien Goudeux, maître de conférences en psychologie sociale à l’Université de Poitiers, décryptent la fabrique actuelle de l’intelligence, la vogue des tests de QI, les dérives de ces mesures et les inégalités qu’elles recouvrent. A cette occasion, ils reviennent sur les liens entre implication parentale et réussite scolaire, comme l’éclaire l’extrait ci-dessous.


Le lien est loin d’être automatique entre « intelligence », réussite et carrière scolaires. Une mobilisation constante des parents (et des jeunes eux-mêmes) est nécessaire, dans un contexte de compétition pour les « meilleures » filières conduisant aux « meilleurs » emplois. Les familles abordent cette compétition avec à la fois des atouts matériels et culturels inégaux, et des ambitions elles-mêmes inégales. Un travail spécifique les attend : aucun enfant n’hérite par osmose d’un capital culturel qui garantirait sa réussite.

Les carrières scolaires requièrent, pour se dérouler conformément aux projets, une vigilance constante des parents : un suivi du travail, des comportements d’initiés pour faire des choix adéquats, sans compter, facteur en partie aléatoire mais que certains vont chercher à contrôler, les aléas tenant aux maîtres ou aux établissements fréquentés.

Les parents vont déjà se mobiliser pour aider leur enfant à réussir. Mais si le temps passé à aider son enfant est important dans tous les milieux sociaux, cette aide revêt des modalités différenciées. Alors que dans les familles de milieu populaire, on s’attache à contrôler le travail à faire, non sans difficultés, parfois, à comprendre les attendus souvent implicites de l’école, les parents des milieux favorisés ou des classes moyennes sont souvent, de prime abord, moins directifs. À l’instar du cas extrême des parents enseignants, ils vont aider l’enfant à centrer son attention, à chercher des informations pertinentes, à auto-évaluer son travail, à justifier ses réponses, à comprendre les raisons de ses succès ou échecs, autant de démarches stimulantes sur le plan cognitif.

Le caractère décisif des comportements vigilants des parents est particulièrement patent quand l’enfant rencontre des difficultés : non seulement les familles favorisées n’hésitent pas alors à sous-traiter cette aide à l’extérieur, mais elles recourent plus fréquemment aux outils pédagogiques disponibles sur le marché, voire s’investissent elles-mêmes dans les apprentissages. Non sans succès : alors que des difficultés scolaires précoces obèrent sérieusement la poursuite d’études longues, certains enfants initialement dans ce cas s’en sortent finalement assez bien ; la majorité des enfants de milieux favorisés en difficulté au CP accèdent à un second cycle alors que ce n’est le cas que pour la minorité de leurs pairs appartenant à des milieux défavorisés.

De même, une étude britannique montre que si les performances cognitives à l’âge de 22 mois sont effectivement corrélées aux performances scolaires à l’âge de 10 ans, certains enfants qui se situaient aux âges jeunes dans le bas de la distribution parviennent à être dans le groupe de tête à 10 ans.

Preuve de l’impact du milieu familial, ces reclassements vers le haut sont bien plus souvent le fait d’enfants de milieux favorisés, alors que les moins favorisés peinent à rester durablement à un bon niveau, quand ils l’étaient à 22 mois. Les enfants de milieux favorisés parviennent donc à « compenser » des échecs scolaires précoces et par conséquent, encore moins que leurs pairs de milieux sociaux moins favorisés, leur carrière scolaire ne reflète leur intelligence.

C’est dotés d’un bagage scolaire plus ou moins solide que les élèves abordent ensuite les différents choix d’orientation (ou d’options), et à tous les niveaux, l’influence de l’origine sociale est significative : tous les choix qui déterminent la carrière scolaire sont marqués socialement, avec en particulier des choix d’initiés pour accéder aux filières dites d’excellence qui requièrent une connaissance intime du système. Par conséquent, le déroulement de la scolarité ne va pas être le pur décalque des compétences de l’enfant.

La réussite scolaire elle-même s’inscrit dans tout un fonctionnement de l’école qui n’est que très imparfaitement méritocratique et tout ne se résume pas à une question de valeur scolaire : les attentes et les stratégies des parents sont capitales et par ailleurs les ressources scolaires ne sont pas toujours de qualité égale ; en atteste par exemple le poids des enseignants débutants, en moyenne moins efficaces que leurs collègues plus expérimentés, dans les écoles les plus populaires.

Le rôle des parents est particulièrement patent concernant les élèves étiquetés comme HPI (haut potentiel intellectuel). Car c’est dans ce contexte global de compétition scolaire que certains parents (dotés bien plus souvent de diplômes élevés que l’ensemble de la population) s’efforcent de faire bénéficier leur enfant d’un traitement particulier, permettant d’optimiser son cursus et sa réussite scolaires.

Le diagnostic de précocité, posé par un psychologue, le plus souvent au niveau de l’école primaire, suit la demande de parents convaincus que leur enfant a des besoins particuliers et des qualités mal appréhendées par les maîtres.

Ces parents, qui ont accès à une culture psychologique, se sentent en droit de contester l’institution scolaire. Armés d’un test de QI permettant le verdict de « haut potentiel » (à partir d’un QI de 130), ils n’hésitent pas à exercer des pressions pour contraindre les enseignants à se plier à leurs souhaits, concrètement, à obtenir pour leur enfant un saut de classe ou des aménagements de scolarité.

L’institution scolaire le permet, ayant progressivement intégré la notion de précocité (expression euphémisée de la supériorité intellectuelle). Dans la loi « Pour l’avenir de l’école » de 2005, il est écrit que des « aménagements appropriés sont prévus au profit des élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières, afin de leur permettre de développer pleinement leurs potentialités » (article L.321-4).

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Aujourd’hui, certains parents défendent véritablement, non sans moyens matériels car il faut payer pour faire tester son enfant, une « cause » de l’intelligence (selon la formule de Lignier), fondée sur l’usage scolaire du diagnostic psychologique. Il s’agit de fait, grâce à cette ressource présentée comme indiscutable d’un QI élevé, d’une stratégie de distinction, justifiée par le caractère crucial de la réussite scolaire. On défend la nécessité d’une prise en charge spécifique de ces enfants en arguant du fait que ces « surdoués » sont souvent en souffrance, même si en réalité l’immense majorité des élèves ainsi étiquetés connaitra des scolarités excellentes.

Ces observations faites sur une frange très particulière de la population confortent la conclusion selon laquelle la carrière scolaire reflète pour une grande part la mobilisation active des parents, non seulement pour former leur enfant à l’intelligence de l’écolier mais pour optimiser sa prise en charge par l’institution.

Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS), Sciences Po et Sébastien Goudeau, Maître de conférences en psychologie sociale, Université de Poitiers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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