Dans le cadre de son programme en faveur d’une agriculture et d’une production alimentaire durables, la Commission européenne a récemment indiqué vouloir faire évoluer la législation européenne sur le bien-être animal. Son projet a été présenté le 7 décembre dernier et s’attarde uniquement sur le temps de transport des animaux. En apprenant cela, certains militants pour la cause animale pourraient trouver que ces mesures sont insuffisantes et en viendraient à se poser la question : le droit peut-il être vraiment efficace pour protéger les animaux et améliorer leur bien être ?

De prime abord, le droit peut paraître inaccessible. Il est en effet créé, utilisé, manipulé par des professionnels qui usent d’un langage technique très particulier. Cependant, le droit, c’est aussi nous : citoyens, citoyennes. Nos choix de citoyens et de consommateurs sont plus importants qu’on ne le pense. Ces choix deviendront potentiellement la règle de droit de demain.

On a pu constater ce mouvement dans la prise de conscience générale de la nécessité de lutte contre le réchauffement climatique. Ces préoccupations ont pu migrer vers le domaine juridique et ont vu émerger des règles de protection, de conservation, de respect (les îles Loyauté ont par exemple donné en juin dernier une personnalité juridique à des entités naturelles pour les protéger). On touche même ici à l’idéal de Justice qui, selon le juriste romain Ulpien, « est une volonté constante et durable d’attribuer à chacun son droit. »

Cependant, s’il y a bien des êtres-vivants qui sont en attente de droits, effectifs, significatifs, ce sont les animaux. On peut même parler d’animaux non-humains car ne l’oublions pas, en tant qu’êtres-humains, nous sommes aussi des animaux.

Les animaux sensibles

Au cours de notre vie, nous avons et aurons toutes et tous l’occasion d’avoir au moins une interaction avec un animal. L’expérience peut être agréable, douce, craintive ou génératrice de traumatismes. Ce qui est certain c’est que les animaux non-humains sont eux aussi des êtres-vivants qui ressentent, qui vivent leur vie pour eux, qui peuvent éprouver la joie comme la peine, le bien-être comme la souffrance. Pourtant, cette reconnaissance de la sensibilité n’a pas toujours été d’actualité.

Au XVIIe sicèle, le mathématicien, physicien et philosophe René Descartes, le fameux auteur du cogito « je pense donc je suis » brillait par un triste rationalisme. Il perpétua l’idée de l’animal-machine : les animaux étaient assimilés à des choses et devaient, pour cette raison, répondre aux besoins de l’homme. Le postulat était simple : « les bêtes n’ont pas seulement moins de raison que les hommes, elles n’en ont point du tout ».

Un singe se regarde dans un miroir
Les animaux sont trop souvent assimilés à des choses qui doivent répondre aux besoins humains. Pexels, CC BY-NC

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Il faudra véritablement attendre le début du XXᵉ siècle pour voir apparaître un mouvement significatif, philosophique et juridique, qui s’intéresse à la sensibilité des animaux en la considérant au même niveau que celle des êtres-humains. Ce mouvement questionna notre rapport aux animaux non-humains et plus précisément nos démonstrations d’inhumanité à leur égard par exemple les tortures expérimentales en laboratoire. Selon ce mouvement de pensée, et sur la base de cette sensibilité collective, partagée mais si souvent niée, les droits des animaux non-humains sont donc intimement liés à ceux des êtres-humains.

Les animaux et leurs droits

C’est par un décret, en 1959, que la question de la protection animale entre dans le droit : les mauvais traitements exercés envers les animaux sont interdits. Ensuite, en 1976, est promulguée une loi sur la protection de la nature, par laquelle la qualité d’« être sensible » de l’animal est consacrée, sans qu’aucune disposition ne permette pour autant d’en assurer une protection.

Suit alors une prise de position philosophique, proclamée en 1978, à travers la Déclaration universelle des droits de l’animal, reconnaissant ce dernier comme doté d’un système nerveux et possédant des droits particuliers.

Enfin, c’est par la loi du 16 février 2015 qu’est introduit dans le code civil un nouvel article : « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. ».

Que comprendre ? La sensibilité des animaux non-humains est reconnue par le code civil mais ils sont toujours soumis au régime des biens, des choses. Selon une approche pessimiste, nous pourrions identifier une incohérence voire une hypocrisie. Selon une approche optimiste, nous pouvons lire que les animaux non-humains ne sont plus des choses mais sont soumis à leur régime. La nuance est importante car elle ouvre la voie à une autre considération de l’animal non-humain.

Les animaux sont-ils des choses ?

Le problème, avec le droit, c’est qu’il fonctionne par catégories à pourvoir : si nous ne sommes pas des personnes, alors nous sommes des choses. Et inversement.

Où est l’animal ? Certains diront que c’est une « chose particulière ». Cet entre-deux n’est pas considéré par le droit et cela a son importance puisque les règles de protection des animaux non-humains dépendent de cette considération. Le régime des biens, des « choses », continue en grande partie de s’appliquer pour ces êtres qui vivent, éprouvent de la joie, du plaisir, de la peur ou de la souffrance.

Les animaux domestiques emportent le plus notre empathie car ils vivent et évoluent avec nous, car nous pouvons d’un regard parfois amusé, parfois subjugué, être témoins de leur autonomie de vie, leur ingéniosité, leur affection. Mais qu’en est-il des animaux d’élevage ? Sont-ils inférieurs ? Qu’en est-il des animaux sauvages que le droit considère comme des res nullius, des choses sans propriétaire légal, qui peuvent être capturés, blessés, maltraités ou mis à mort en toute impunité ? Sont-ils eux aussi inférieurs ?

Un vache dans un pré
Les animaux domestiques emportent le plus notre empathie car ils vivent et évoluent avec nous. Mais qu’en est-il des animaux d’élevage ? Sont-ils inférieurs ?. Pexels, CC BY-SA

La réponse, nous la connaissons : non, ils ne sont pas inférieurs. Ils sont constitués comme les animaux domestiques à qui l’on prête de l’attention, de l’affection et dont l’intelligence est démontrée scientifiquement. Le droit a cependant décidé de catégoriser. Et nous pouvons en convenir : l’idéal de Justice n’est nulle part dans cette initiative de classer, discriminer, au point de considérer que la mort d’une catégorie est moins importante que la mort d’une autre.

Une solution, changer nos habitudes ?

Si le droit est pour l’instant générateur de cette injustice, il peut au contraire devenir un levier de changements très significatifs. Ce sens, à nous de l’injecter dans la société. Comment ? En changeant certaines de nos habitudes de consommation, principalement.

Très concrètement, trois pôles d’exploitation animale peuvent être identifiés : l’alimentaire (pour la consommation de viande), l’industrie du textile (cuir, fourrure) et les loisirs (corrida, combats de coqs et chasse à courre, entre autres).

Pour ne parler que de l’alimentaire, 1060 milliards d’animaux sont tués par an pour la consommation de viande. Pour atteindre ce nombre, il est nécessaire de maintenir une cadence effrénée qui aboutit à des violations de la réglementation et des maltraitances.

L’illustration est flagrante dans les abattoirs mais également pour des produits plus « exceptionnels » comme le foie gras, qui consiste à développer chez les canards mâles, avant de les tuer, une maladie du foie. Pour justifier ce zoocide (le terme zoocide a été proposé par Matthieu Ricard, docteur en génétique cellulaire et moine bouddhiste pour définir le massacre animal organisé et de masse. Ce terme fait écho à la notion de génocide définie par l’ONU) il est indispensable de démontrer la nécessité vitale de la consommation de chairs. Or, la médecine, la biologie, la philosophie sont fermes : il n’existe aucune nécessité vitale. Pas plus que dans le fait de porter du cuir, de la laine ou assister à une corrida. Que des plaisirs : gustatifs, d’apparence ou récréatifs.

Cela signifie-t-il que nous devons choisir entre culpabilité ou frustration ? Est-ce à dire qu’il faille se priver de tout plaisir ? Évidemment que non. Le plaisir est essentiel à l’être-humain mais il peut survenir en évitant la mort d’animaux. Beaucoup d’alternatives végétales existent aujourd’hui pour pouvoir ressentir ce plaisir sans participer à ce zoocide. Notre conscience de citoyen, a fortiori dans une époque où cette exploitation est également délétère pour le climat, peut trouver une voie médiane : celle qui respecte la vie d’êtres-vivants sensibles. Nous adoptons déjà au quotidien, de plus en plus naturellement, des réflexes respectueux de l’environnement. Nous pouvons trier, choisir des mobilités douces. Nous le faisons parce que nous sommes toutes et tous concernés par l’état de santé de la Terre. Il est peut-être temps à présent de poser notre regard sur ces êtres-vivants sensibles qui ne demandent qu’à vivre et de participer à cette exaltante entreprise : nos habitudes d’aujourd’hui peuvent véritablement être le droit de demain.

Jean-Benoist Belda, Docteur et Enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles, Institut catholique de Lille (ICL)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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