Pour beaucoup d’enfants, l’arrivée du père Noël est le point culminant des festivités de décembre. Mais croient-ils vraiment qu’un homme aux pouvoirs magiques parcourt le globe pour leur apporter leurs cadeaux ?

S’ils y croient, n’est-ce pas une preuve de leur crédulité ou de leur incapacité à faire la distinction entre la fiction et la réalité ? Pour bien faire la part des choses, imaginez cependant un instant votre réaction face au scénario qui suit.

Depuis plusieurs jours, les journaux télévisés diffusent en boucle des reportages sur un individu non identifié qui s’introduit dans les habitations où il dérobe les clés de la voiture avant de partir au volant du véhicule. Le coupable ne laisserait aucune trace, hormis celles que de bottes pleines de boue sur le sol.

Un matin au réveil, vous trouvez des traces de boue chez vous, vous remarquez que vos clés de voiture ont disparu. Vous vous précipitez à la fenêtre et constatez que la voiture n’est plus là. Immédiatement, vous vous dites que l’inconnu dont vous avez entendu parler aux infos vous a rendu une petite visite. Quelques minutes plus tard, vous recevez un appel de votre colocataire, un type sans-gêne, qui vous explique qu’il a voulu se rendre au travail à pied, comme d’habitude, mais qu’il pleuvait tellement qu’il est rentré dans l’appartement avec ses chaussures sales et vous a emprunté votre voiture pour la journée.

Des publicités aux adultes, tout le monde s’évertue à perpétuer le mythe du père Noël. Les parents eux-mêmes emmènent leur progéniture dans les centres commerciaux pour rencontrer un type déguisé qui prend l’enfant sur ses genoux pour qu’il lui récite sa liste de cadeaux. La veille de Noël, ils disséminent dans la maison des preuves irréfutables de l’existence de ce personnage : des bouts de biscuits et un verre de lait à moitié vide que les enfants trouveront le lendemain matin et, le plus important, les cadeaux sous le sapin.

Alors, si les enfants croient à l’existence du père Noël, ce n’est pas parce qu’ils sont plus crédules que vous, mais qu’on les a encouragés dans cette voie. Vous-même, face à des preuves du même ordre, auriez été capable de déduire qu’un criminel s’était introduit chez vous pour voler vos clés de voiture. D’ailleurs, les enfants font parfois preuve de davantage de scepticisme que les adultes à l’égard d’allégations et d’affirmations.

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L’adhésion à l’histoire du père Noël pique particulièrement la curiosité du chercheur spécialisé dans les croyances des enfants que je suis. Je m’intéresse à la représentation qu’ils se font des autres, à leur esprit, et à leur conception de l’extraordinaire. La recherche sur le développement cognitif des enfants nous permet d’entrer dans l’histoire fascinante – et plus nuancée qu’on l’imagine souvent – de cette croyance annuelle.

Se représenter le monde

Admettre l’existence du père Noël est une chose. Mais les enfants croient-ils vraiment que le père Noël est capable de faire tout ce que racontent leurs parents et les autres adultes ? Qu’il peut faire le tour de la Terre en une nuit, sur un traîneau tiré par des rennes, et leur apporter des cadeaux à tous ? Ou qu’il sait s’ils ont été gentils ou méchants au cours de l’année écoulée ?

C’est là que l’histoire devient plus intéressante et plus nuancée. Ces croyances dépendent en fait de la conception que les enfants ont du monde, et ces représentations évoluent de façon spectaculaire au cours de l’enfance.

Il existe par exemple des différences individuelles considérables entre les enfants et des évolutions dans leur manière d’envisager les notions de planète Terre, de temps et de vitesse chez l’enfant.

Si un jeune enfant croit que la Terre est petite ou qu’elle abrite peu d’habitants, une distribution massive de cadeaux par le père Noël en 24 heures ne lui semble pas si farfelue. Il existe également de grandes différences dans l’idée que les enfants se font de l’esprit. Les jeunes enfants, en particulier, trouvent difficile de se représenter quelqu’un d’omniscient, qui connaîtrait chacune de leurs pensées et chacun de leurs mouvements. En maternelle par exemple, ils sont enclins à croire que le père Noël a un esprit exceptionnel, qu’il peut savoir des choses que la plupart des autres adultes ignorent, mais pas tout.

Ainsi, les plus petits croient généralement que le père Noël existe, mais sous une forme plus banale que ce que les adultes laissent entendre.

Jouer avec les faux-semblants

Pourtant, même dans les cultures où les récits sur le père Noël et les preuves physiques de son existence sont omniprésents, la plupart des enfants finissent par se rendre compte qu’il n’existe pas. Ce qu’en disent leurs copains peut lentement éroder leur croyance. Ils peuvent aussi surprendre leurs parents qui se régalent des biscuits du père Noël ou déposent les cadeaux sous le sapin.

De plus, à mesure que les enfants se rendent compte de l’ampleur des pouvoirs attribués au père Noël – lorsqu’ils prennent par exemple conscience de la distance qu’il doit parcourir et du nombre de maisons qu’il doit visiter en une seule nuit – ils se mettent à remettre en question ses qualités supposées et finissent par douter de son existence tout court. Vers l’âge de huit ans, la plupart n’y croient plus vraiment.

Alors, pourquoi continuent-ils de participer à ce rituel annuel ? Pourquoi font-ils comme si le père Noël existe vraiment et leur offre des cadeaux parce qu’ils ont été gentils (ce qui va sans dire) ?

La réponse est simple : parce que c’est amusant. C’est un peu comme les amis imaginaires. Les enfants qui en ont savent qu’ils ne sont pas réels, mais ils font semblant de jouer avec eux et de parler d’eux à leur entourage parce que c’est une fiction agréable et gratifiante. Considérer que le père Noël est réel présente un avantage supplémentaire puisqu’il leur apporte des jouets chaque année ! Lorsque les enfants plus âgés s’adonnent à cette mythologie, ils jouent le jeu avec les adultes, qui eux-mêmes s’amusent de ce faux-semblant.

Ce mensonge a-t-il des conséquences sur les enfants ? Perdent-ils la confiance qu’ils avaient en leurs parents lorsqu’ils découvrent que ceux-ci ont mis en place un stratagème aussi sophistiqué ?

Peu d’études répondent directement à ces questions. L’une des rares à avoir interrogé les enfants sur leurs réactions a révélé qu’ils éprouvaient plus d’émotions positives que négatives lorsqu’ils apprenaient l’existence du mythe, qu’ils aient découvert le mensonge eux-mêmes ou de la bouche de leurs parents.

Si l’on considère que les enfants sont à même de comprendre qu’il s’agit d’un jeu et qu’ils font semblant sans que leurs parents ne s’en rendent compte, et si l’on considère que toute cette fiction se déroule dans un contexte de plaisir et de convivialité, il y a alors probablement plus à y gagner qu’à y perdre.


Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord.

Jonathan Lane, Assistant Professor of Psychology and Human Development, Vanderbilt University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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