Les abeilles et les autres insectes pollinisateurs sont en déclin partout. Leur effondrement est déjà une catastrophe pour les humains, qui dépendent des services rendus par ces insectes, rappelle l’écologue Philippe Grandcolas

« Si les abeilles disparaissaient de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre ». Cette citation, faussement attribuée à Albert Einstein, contient au moins une part de vérité. Le rôle des insectes pollinisateurs est vital pour les humains. Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique du CNRS écologie et environnement et co-auteur d’un rapport de l’Académie des sciences sur le déclin des insectes, nous éclaire. 

Philippe Grandcolas : « Lorsque les abeilles vont visiter des fleurs, elles transportent le pollen et fécondent une fleur avec le pollen d’une autre. Ce service de pollinisation est indispensable à l’humanité ! Les 3/4 des plantes cultivées dépendent de pollinisateurs, essentiellement des insectes, pour leur reproduction. C’est le cas de la tomate dont la fleur a besoin d’être secouée par le bourdon terrestre pour que la pollinisation soit bien assurée. Même quand les plantes sont auto-fertiles, comme certains colza, la pollinisation croisée entre fleurs permet d’obtenir jusqu’à 30% de rendement en plus. Ce service gratuit est rendu par les abeilles domestiques, mais aussi et surtout par les abeilles sauvages et d’autres insectes.

Sur les 5 500 insectes pollinisateurs recensés en France métropolitaine, environ 1 000 sont des abeilles sauvages. Ces abeilles solitaires dépendent d’habitats particuliers, mis à mal par nos activités. Partout, on a simplifié le paysage à l’extrême en supprimant haies, bosquets et prairies qui sont autant d’habitats naturels. L’épandage massif de pesticides est aussi l’une des causes majeures de leur déclin. Sans compter les aléas climatiques… Le bourdon est ainsi sensible aux sécheresses qui affectent la ressource en eau et en fleurs.

Un service gratuit et difficilement remplaçable

Le bourdon terrestre (Bombus terrestris) appartient à la famille des Apidés. PHOTO ACR

Penser que l’on peut se passer des pollinisateurs sauvages revient à se voiler la face. Il ne suffit pas d’emmener des ruches d’abeilles domestiques quelque part pour que ce service soit rendu. On le voit aux Etats-Unis où des milliers de ruches sont déplacées d’un état à un autre, pour polliniser des fleurs d’amandiers plantés sur des parcelles arrosées de pesticides. Le bilan environnemental est désastreux. Polliniser à la main, comme dans certaines régions de Chine, ou espérer le faire avec des drones est aussi une coûteuse absurdité ! 

En France, on utilise des bourdons élevés en ruchettes pour polliniser les tomates cultivées sous serre. C’est un système sous cloche, non durable ! On parle là de bourdons sélectionnés, élevés et vendus, alors que d’autres bourdons sauvages, à la diversité génétique plus grande, rendent ce même service gratuitement.

Un monde sans pollinisateurs sauvages n’est pas viable

Il est urgent d’enrayer le déclin des insectes pollinisateurs avant qu’il ne soit trop tard. Dans certains endroits, nous sommes déjà arrivés à un point de bascule. Le cas de la production de colza est emblématique. Dans les grandes plaines, les populations d’abeilles s’effondrent ou deviennent moins efficaces en raison de leur exposition aux pesticides.

Le colza étant auto-fertile, la plante peut se passer du service de pollinisation croisé rendu par les abeilles, mais cela diminue la production d’environ 30%. On essaie de compenser cela avec des intrants, mais cela représente un coût considérable et cela a des conséquences environnementales détestables. En grande culture, on raisonne trop ainsi : le sol est détruit ? Ce n’est pas grave, ajoutons de l’engrais. Le sol ne retient plus l’eau de pluie ? Ce n’est pas grave, irriguons ! Les grandes cultures sont typiques d’un système sous perfusion qui coûte cher. Il a non seulement un coût économique affiché lié aux achats d’intrants, mais aussi un coût caché lié au bilan de l’eau ou au coût sanitaire lié à l’impact des polluants chimiques sur la santé des sols, des hommes et des animaux.

Si les abeilles disparaissent, l’humanité ne disparaîtra pas, mais notre vie va être de plus en plus difficile. Il importe d’en prendre conscience, et d’agir pour inverser cette tendance, à l’échelle collective et individuelle. En privilégiant chaque fois que c’est possible, la production de produits bio, locaux et de saison, le consommateur a le pouvoir d’agir ! »

Propos recueillis
par Alexandrine Civard-Racinais

Avec le soutien du Ministère de la Culture

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