C’est la question tarte à la crème de toutes les élections : faut-il réduire le nombre de fonctionnaires. Et elle n’a pas de réponse, tout juste une petite arrière-pensée idéologique. Et surtout, une histoire vieille… comme la fonction publique

Émilien Ruiz enseignant à Sciences Po Paris qui travaille sur cette obsession française du « trop de fonctionnaires » interroge : « La question du nombre de fonctionnaires devrait être posée différemment : trop par rapport à quoi ? Tout dépend de ce qu’on cherche. L’arrière-pensée est la plupart du temps politique et elle vise autre chose. Que l’on dépense trop ? Ou que l’on souhaiterait que le service public soit pris en charge par des entreprises privées ? ». Une obsession qui n’est pas récente mais qui a toujours caché autre chose que l’on n’ose pas ou que l’on ne sait pas dire.

Et à son tour, chaque faction va taper sur le fonctionnaire : d’abord aux alentours de 1870, les républicains trouvent qu’il y a encore trop de monarchistes et de bonapartistes dans la fonction publique. Et au fur et à mesure des changements, ce seront les tenants de l’Ancien régime qui y trouveront trop de… républicains.

Mais tous parlent de trop de fonctionnaires. Au début du XXe siècle, les socialistes trouvent la fonction publique trop réactionnaire. Et même les communistes dénoncent le trop de fonctionnaires après la guerre : la France doit alors faire des économies drastiques et les agents publics en place ont été un peu trop proches du régime de Vichy. Mais la critique demeure vague parce « personne ne sait définir ce qu’est un fonctionnaire. »

Nouveau statut, nouvelles attaques

C’est le statut du fonctionnaire, créé en 1946, qui va concentrer les attaques ultérieures. Là encore, non sans arrières-pensées souligne Émilien Ruiz : « Depuis 20-30 ans, on estime qu’ils sont surprotégés, qu’ils peuvent ne pas travailler. Mais ceux qui disent ça jouent sur la méconnaissance du statut de fonctionnaire. Certes, les fonctionnaires sont protégés des aléas du marché du travail mais rien n’interdit de les licencier pour faute ou inaptitude. Dans le privé aussi, il y a des incompétents qui ne sont pas licenciés. En fait, tout dépend des rapports de force syndicaux. »

Des rapports de force qui sont en train de s’affaiblir depuis que la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ne met plus de barrière au recrutement massif de contractuels.

Et contribue à brouiller un peu plus la notion de fonctionnaire : « On parle de qui ? Des agents publics ? Y compris ceux qui ne sont pas dans la fonction publique ? Et on tient compte des contractuels ? » Les chiffres donnés par les politiques correspondent généralement à l’idée qu’ils veulent faire passer.

« Bons fonctionnaires » contre « mauvais fonctionnaires »

Et même lorsque ce n’est plus le coût qui est en jeu, on trouve toujours quelque chose : « Après les Gilets Jaunes et la Covid-19 qui ont souligné le besoin en service public, on en a quasiment pas parlé pour la présidentielle de 2022. On n’a pas dénoncé les effectifs mais « l’administration administrante ». En gros il y aurait une bonne administration de terrain et une mauvaise dans les bureaux. »

Une antienne qui date elle aussi du XIXe siècle, des ronds-de-cuir de Courteline et Balzac. Mais qui se trompe aussi de cible : « On accuse essentiellement la fonction publique territoriale d’avoir des effectifs pléthoriques. Or 75% de ses effectifs sont des catégorie C, donc des agents de terrain. »

Finalement, pour sortir de ce débat sans fin, il suffirait que les Français se mettent d’accord avec eux-mêmes : « Quand on leur demande s’il y a trop de fonctionnaires, ils disent oui. Et si on leur demande s’ils veulent plus de service public, ils répondent oui aussi. »

A un moment donné, il faut choisir une seule réponse…

Jean Luc Eluard

Avec le soutien du Ministère de la Culture

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