Claude Lelièvre, Université Paris Cité
Selon les comparaisons internationales menées par l’OCDE, la France fait partie du quart des pays dont la durée de l’année scolaire est la plus courte, n’excédant pas 36 semaines, alors que la médiane se situe à 38 semaines – et qu’un tiers des pays se situe au-delà de 40 semaines). Seuls deux pays ont une année scolaire moins longue que celle de la France, soit 35 semaines.
Cela signifie-t-il que la France accorde bien plus de vacances l’été à ses élèves que les autres pays ? En réalité, avec ses presque neuf semaines de congés estivaux, la France ne se situe que dans la moyenne. Pour l’enseignement primaire, la longueur des « grandes vacances » varie du simple au double selon les pays : elle est de 13 ou 12 semaines pour 10 pays contre 6 semaines dans 5 pays.
La différence se joue donc sur les congés en cours d’année, les autres pays ayant rarement des « petites vacances » qui dépassent la semaine. Une distribution qui s’est organisée au fil du XXe siècle. Si la durée totale des vacances n’a pas bougé depuis la fin de la troisième République, le calendrier a lui beaucoup changé.
Distinction sociale
Les vacances d’été sont-elles un héritage de la France agricole ? La trace d’une époque où les enfants aidaient leur famille pour les moissons ? En réalité, le tempo qui s’est finalement imposé est celui des établissements secondaires qui n’accueillaient pourtant sous la troisième République que deux ou trois pour cent d’une classe d’âge.
Comme l’a bien montré l’historien Antoine Prost, les nobles ne devaient pas « travailler » : cela aurait été « déroger » à leur rang. D’où, le plus souvent, un mode de vie en alternance : en ville, dans leur hôtel particulier, à la mauvaise saison ; à la campagne, dans leur château, durant la belle saison. À leur tour, nombre de bourgeois ont cherché à vivre noblement. Prendre des vacances, c’était montrer que l’on était au-dessus des travailleurs, que l’on se distinguait d’eux.
En définitive, au XIXe siècle, les enfants de la bourgeoisie et de l’aristocratie – qui étaient alors pratiquement les seuls à fréquenter les collèges et les lycées – rejoignaient donc leurs familles dans la deuxième moitié de l’été pour participer, non pas aux travaux des champs, mais aux réseaux de sociabilité qui se nouaient alors en particulier autour de la chasse (activité d’origine noble, privilège, même, sous l’Ancien Régime).
À partir de l’établissement de la IIIᵉ République, les grandes vacances de l’enseignement secondaire vont débuter de plus en plus tôt dans l’année, et durer plus longtemps. En 1875, il est décidé qu’elles commenceront désormais le 9 août ; puis, à partir de 1891, le 1er août. En 1912, le début des « grandes vacances » est avancé au 14 juillet ; mais elles durent toujours jusqu’au 1er octobre. On est donc passé de 1874 à 1912, d’un mois et demi de grandes vacances à deux mois et demi.
Arrivée des congés payés
Pour les écoles primaires (où vont alors la très grande majorité des jeunes Français), l’arrêté du 4 janvier 1894 fixe la durée des vacances à six semaines. Mais il contient un ajout qui a son importance : « toutefois, la durée des vacances peut être portée à huit semaines, dans les écoles primaires élémentaires où sont organisées des classes de vacances ».
La prolongation de deux semaines va se faire pour différents motifs, et se généraliser. Elle est d’abord octroyée comme une récompense (pour les enseignants…). L’arrêté du 27 juillet 1896 l’accorde au personnel « qui aura contribué au fonctionnement de cours réguliers d’adultes et d’adolescents ». À la toute fin du XIXe siècle, un usage s’est créé : la durée normale des vacances est passée de six à huit semaines, comme le reconnaît l’arrêté du 21 juillet 1900.
En 1922, on ajoute quinze jours au mois et demi de vacances d’été. Elles vont du 1er août au 30 septembre. En 1938, elles sont alignées sur celles du secondaire et fixées du 15 juillet au 30 septembre. C’est le Front populaire. Les congés payés commencent souvent le 14 juillet. On institue donc des grandes vacances qui vont du 15 juillet au 30 septembre. « Il faut que les vacances des enfants et les congés des parents soient mis en harmonie », déclare Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale.
Zones de vacances
En 1959, les grandes vacances sont déplacées dans leur ensemble de deux semaines : elles commencent plus tôt, le 1er juillet, et finissent plus tôt, à la mi-septembre. Comme le premier trimestre s’est du coup allongé, il est décidé que 4 jours seront libérés à la Toussaint pour qu’il y ait une petite coupure.
Treize ans plus tard, en 1972, après les Jeux olympiques d’hiver de Grenoble, les vacances d’hiver sont instituées. Et, avec elles, le zonage (A,B,C) pour favoriser le développement du tourisme et la circulation lors des grandes « transhumances » afférentes.
À partir de là, on entre dans la problématique bien connue du 7+2 (7 semaines de classe suivies de 2 semaines de vacances, un rythme unanimement recommandé par les chronobiologistes), mais qui connaît bien des hauts et des bas.
Débat sur le calendrier
S’il faut allonger le nombre de semaines « travaillées » pour s’aligner sur la médiane des autres pays qui s’élève à 38 semaines contre 36 pour la France, le mieux serait de ne pas toucher aux petites vacances de deux semaines mais de raccourcir les grandes vacances de deux semaines.
La France est actuellement – et de loin – le pays où le nombre de journées « travaillées » par an est le plus faible, en particulier pour les communes qui ont choisi la semaine scolaire de quatre jours (et non plus de quatre jours et demi), et cela peut être considéré comme un problème effectif.
Mais le sujet est très sensible, voire clivant. Les enseignants sont très réticents, voire pour beaucoup d’entre eux très hostiles à une telle évolution, surtout s’il n’y a pas de contreparties, salariales ou autres. Les enseignants français font certes partie des enseignants qui ont le plus de vacances ; mais ils font aussi partie de ceux qui sont les moins bien rémunérés.
Interrogé le 22 juillet 2017 par Le Journal du dimanche, le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer a répondu :
« À chaque fois qu’on parle de l’enfant au XXIe siècle, on doit se poser la question des vacances d’été ou des vacances intermédiaires. C’est un sujet plus important que celui des rythmes hebdomadaires ».
Le 22 juin 2018 sur Europe 1, le ministre a réitéré : « cela fait longtemps que je dis que l’on va devoir poser tranquillement mais sûrement la question des vacances scolaires ».
Alors, un an plus tard, on pose – tranquillement mais sûrement – la question : « quand et comment ? »
Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l’éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.