Le phénomène climatique El Niño est train de se former dans l’Océan Pacifique tropical. Il aura alors une forte incidence sur le climat de la région. Éric Guilyardi, océanographe et climatologue spécialiste d’El Niño nous explique comment il se forme et quelles sont les conséquences pour la planète et la France

Qui est El Niño et comment se forme-t-il ? 

Éric Guilyardi : El Niño est un phénomène climatique qui a lieu dans le Pacifique tropical. Il est lié à une anomalie des échanges entre l’océan et l’atmosphère. Pour comprendre El Niño, il faut décrire la situation normale qui est faite d’alizés qui vont d’est en ouest, donc des côtes d’Amérique centrale du Sud jusque vers l’Indonésie.

Ces alizés entraînent des remontées d’eaux froides dans l’est du Pacifique et donc des eaux plutôt fraîches pour les tropiques, vers 23-24°C. En revanche, dans l’ouest, autour de l’Indonésie la température de l’eau de surface est plutôt de 30°C. Cet écart de température de surface crée une différence de pression dans l’atmosphère qui entraîne les alizés. On a un système océan-atmosphère qui s’auto-entretient.

Et certaines années, le système se dérègle. Cela peut être la chaleur accumulée dans l’ouest du Pacifique en profondeur qui va, peu à peu, arriver jusqu’en surface dans l’est. Donc là, on réduit cette différence de température et, de fait, on réduit les alizés. Le système s’enraye : les alizés s’affaiblissent et l’est et le centre du Pacifique équatorial se réchauffent. 

Quelles sont les conséquences pour le climat au niveau mondial ? 

Éric Guilyardi : Tout d’abord, le pourtour du Pacifique est affecté puisque ces alizés arrivent chargés en humidité dans l’ouest du Pacifique avec des remontées d’air en altitude. Il y a alors énormément de convections atmosphériques : il pleut énormément au-dessus de l’Indonésie, du nord de l’Australie et des Philippines. Par contre, dans l’est du Pacifique c’est plutôt de l’air sec qui redescend.

Donc, pendant El Niño, tout cela est perturbé, il y a moins de précipitations en Indonésie où la récolte de riz peut être divisée par 2. Et il y a des sécheresses dans le nord de l’Australie. En revanche, dans le centre et l’est du Pacifique, nous avons beaucoup plus de précipitations que la normale.

Et le Pacifique joue des coudes avec la circulation atmosphérique au-dessus des autres bassins océaniques comme dans l’Indien ou l’Atlantique. Avec des conséquences en Afrique et dans l’Atlantique tropical, où, par exemple, il y a moins de cyclones tropicaux les années El Niño.

A quoi faut-il s’attendre pour la France ?  

Éric Guilyardi : Il n’y a pas d’impact direct d’El Niño sur l’Europe car nous sommes loin du Pacifique tropical. Aux moyennes latitudes, il y a des impacts sur l’Amérique du Nord, et plus particulièrement en Californie où il pleut plus. En Europe, il n’y a pas de conséquences systématiques. Cela ne veut pas dire qu’il ne fera pas chaud mais n’y a pas de hausses de températures sur l’Europe liées à El Niño.

Il y a souvent cette confusion du fait qu’El Niño augmente les températures moyennes du globe car arithmétiquement, le Pacifique tropical, c’est un quart de la surface de la planète. Quand la température augmente ici, mécaniquement la température moyenne de la Terre augmente. 

Pour l’instant, nous avons une recharge en chaleur dans l’ouest du Pacifique qui est arrivée en surface, il y a à peu près début juin. Donc maintenant, on attend que l’atmosphère réagisse.  Aujourd’hui, il y a 80% de chance qu’El Niño se développe. Il faut rester prudent sur les impacts précis car il y a plusieurs types d’El Niño, comme par exemple des El Niño qui restent côtiers sur le Pérou et le Chili avec un impact local sur la pêche mais pas dans l’ensemble du Pacifique.

Les semaines qui viennent vont être intéressantes car, pour l’instant, les alizés ne se sont pas affaiblis. Il faut attendre qu’ils s’affaiblissent pour pouvoir anticiper un El Niño à l’échelle du Pacifique plutôt que juste un El Niño côtier.

Propos recueillis
par Alexandre Marsat

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