Les croisés, rentrant d’une croisade sans le Graal mais seulement avec les plants d’un nouveau type de prunier dont ils avaient particulièrement apprécié les fruits, se seraient vu répliquer qu’ils avaient fait tout ça « pour des prunes ».

On aime bien le jeu de mots et on imagine la tête des chevaliers déconfits (aux pruneaux), mais l’histoire est sans doute trop sympathique pour être vraie. Ce qui l’est par contre, c’est que le prunier à pruneaux vient du Moyen-Orient et qu’il fut introduit en Europe occidentale à l’époque des croisades. Le monastère bénédictin de Clairac, en Lot-et-Garonne, fut le premier à le cultiver dans ses vergers, au XIIe siècle. Un
monastère visiblement bien inspiré puisqu’il fut aussi le premier à cultiver et commercialiser du tabac en France, trois siècles plus tard.

Les bons moines, jamais à court d’imagination, eurent l’idée de le greffer (de « l’enter », comme on disait alors) avec un prunier de Saint-Antonin, introduit une dizaine de siècles plus tôt par les Romains, et
c’est ainsi que naquit le prunier d’Ente, le prunier greffé dont on fait les pruneaux. Pourtant, la technique est loin d’être locale, elle aussi : cela fait des siècles que l’on conserve des fruits ainsi, en les faisant sécher. De cette manière, l’eau du fruit s’évapore et concourt moins à le dégrader.

Un long voyage

Avant que ce pruneau « d’Agen » ne devienne hégémonique en France (tout récemment), Brignoles (Var), Vitteaux (Côte-d’Or) ou Tours s’étaient taillés une bonne réputation en la matière. Or le pruneau est autant « d’Agen » que le jambon est « de Bayonne » : c’est le port d’embarquement pour l’exportation
qui fait foi et la zone de production est bien plus vaste que le Lot-et-Garonne. Le long voyage de la prune, rapportée d’Asie par les Romains avant d’être constamment modifiée par d’autres plants, résume bien le méli-mélo invraisemblable qu’est l’histoire de l’origine des fruits et légumes. Pour faire court, on peut dire que l’essentiel de nos plantes comestibles proviennent d’ailleurs et qu’un banquet chez les Gaulois devait être moyennement amusant pour un végétarien ; et on ne parle même pas d’un végétalien, qui aurait préféré clumer avec Assurance-tourix. Glands à toutes les sauces, lentilles, fèves, noisettes, blé, orge, caméline, choux et champignons représentaient l’essentiel de leurs légumes. En gros, tout ce qui pousse à l’état sauvage dans nos contrées et qu’ils cultivaient alors. Deux dates essentielles sont à retenir pour l’arrivée de végétaux nouveaux dans l’alimentation de l’Europe occidentale : la conquête romaine, qui répand toutes les plantes du pourtour méditerranéen, de la Mésopotamie et de l’Asie centrale, et la découverte des Amériques, qui en remet une couche. Avec entre-temps des apports sporadiques au petit bonheur, comme le prunier d’Ente. Et tout ça fait une excellente ratatouille.

Jean-Luc Eluard

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