En mai 2011, le Centre international pour la recherche sur le cancer (CIRC, ou IARC en anglais), agence dépendant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), annonçait que les champs électromagnétiques de radiofréquence, autrement dit ceux émis par les téléphones portables, seraient désormais considérés comme des agents cancérogènes appartenant au groupe 2B. Autrement dit, le CIRC considère ces émissions comme « possiblement cancérogènes pour les êtres humains ».

Près d’une décennie plus tard, où en sommes-nous ?

À quoi correspondent les divers groupes d’agents cancérigènes ?

Le CIRC classifie les agents cancérogènes en quatre groupes, en fonction du degré de preuves disponibles les concernant : https://datawrapper.dwcdn.net/DmQfJ/13/

(pour lire ce tableau sur votre téléphone dans les meilleures conditions, orientez ce dernier en format « paysage »)

Les termes en italique déterminent le niveau de preuves existantes : limitées, suffisantes ou solides. Ce sont eux qui permettront la classification d’un agent dans un groupe ou dans un autre.

Des indications de cancérogénicité suffisantes signifient que les données évaluées permettent d’établir une relation de cause à effet entre l’exposition à l’agent et la survenue de cancers chez l’être humain. Une indication limitée de cancérogénicité indique qu’il existe une association positive entre l’exposition à un agent et la survenue de cancers chez l’être humain, mais que l’incertitude (liée au hasard, à d’éventuels biais…) n’a pu être exclue. Les données provenant des animaux peuvent être quantitativement ou qualitativement limitées. Enfin, une indication insuffisante de cancérogénicité signifie que les données chez l’être humain ou l’animal sont absentes ou ne peuvent être interprétées.

Les téléphones portables dans le groupe 2B

Étant donnée la définition des groupes du CIRC, en particulier celle du groupe 2B, affirmer que « l’OMS a classifié la radiation des téléphones portables comme étant cancérigène » est absolument faux.

Lors de son annonce, le CIRC lui-même indiquait que le degré de preuve était limité pour les utilisateurs de téléphones sans fil atteints de gliome (un type de cancer du cerveau) ou de neurinome de l’acoustique (tumeur sur le nerf acoustique). En outre, le CIRC jugeait « inadéquat » le degré de preuve pour les expositions environnementales ou professionnelles (radiation des antennes, en particulier pour les travailleurs).

Pourquoi alors avoir classé ces émissions dans le groupe 2B ? Ce choix résulte de la publication des résultats d’une étude de 2011 dans la revue Occupational & Environmental Medicine. Celle-ci révélait une augmentation du risque de gliome chez les utilisateurs de téléphones portables qui déclaraient une utilisation de plus de 30 minutes par jour sur les 10 années précédentes.

Cette décision a été très critiquée dans la communauté des chercheurs en bioélectromagnétisme (qui étudie les interactions entre les champs électromagnétiques et le vivant), car elle ne respectait aucun des critères requis. Les auteurs de l’étude eux-mêmes affirmaient dans leur conclusion :

« L’incertitude liée à ces résultats exige qu’ils soient reproduits avant de pouvoir en tirer une interprétation causale. »

Et depuis, quoi de neuf ?

En juin dernier, je me suis rendu au congrès BIOEM2019, qui se tenait à Montpellier. Organisée par les deux sociétés scientifiques les plus importantes du secteur (The Bioelectromagnetics Society et l’European Bioelectromagnetism Association), il s’agit de la plus grande manifestation internationale sur le bioélectromagnétisme.

Maria Feychting, chercheuse, professeure et directrice de l’unité d’Épidémiologie de l’Institut Karolinska y a donné une session plénière intitulée « Les preuves de cancérogénicité des champs électromagnétiques de radiofréquence ont-elles changé depuis l’évaluation du CIRC ? » :

Les principales preuves du lien possible entre le cancer et les téléphones portables émanent du chercheur Lennart Hardell. Très acclamé par les mouvements anti-antennes, il est connu dans le domaine du bioélectromagnétisme pour son point de vue et ses publications très controversées. Les études censées soutenir sa thèse, apportées dans le cadre de procès ou dans d’autres contextes, ont été critiquées par la communauté scientifique car comportant de nombreux défauts conceptuels et d’analyse.

Au cours de sa présentation, Maria Feychting a mis en évidence le fait que Lennart Hardell est non seulement le seul à mettre en évidence des liens positifs entre champs électromagnétiques de radiofréquence (CEM-RF) et cancérogénicité mais que, de plus, ces derniers sont faibles. Par ailleurs, aucune des études postérieures menées par différentes équipes à travers le monde ne les corrobore.

C’est par exemple le cas d’une étude de cohortes danoises de long terme qui a inclus plus de 350 000 personnes, ou d’autres travaux menés par le Cancer Research UK et le National Health Service au Royaume-Uni, basés sur une cohorte d’un million de femmes. Dans ces deux cas, aucun risque majeur de cancer lié à l’utilisation de téléphones portables n’a pu être démontré. Conclusion :

« Il n’y a pas eu d’augmentation du risque de tumeurs du système nerveux central, ce qui ne prouve guère l’existence d’une association causale… »

Fleychting a attiré l’attention sur une autre étude de Hardell dans laquelle ce dernier évaluait, de 2007 à 2009, les gliomes de patients ayant été exposés à des CEM-RF pendant « plus de 25 ans ». Curieusement, à l’époque de l’étude et dans l’intervalle d’années analysé, la téléphonie mobile n’était présente en Suède que depuis 23 ans, et en aucun cas majoritairement répandue…

D’autres études parues en 2012 ont comparé l’augmentation des incidences de cancers prédites des années plus tôt par Hardell aux observations réelles. Elles démontrent que l’augmentation annoncée n’a pas eu lieu et qu’au contraire, la tendance suivie est similaire à la tendance précédant l’apparition des téléphones portables. Dans le cas des États-Unis, la tendance est même – étonnamment – plutôt à la baisse. Une incidence plus élevée a été constatée seulement chez les adultes de plus de 75 ans, et non chez les jeunes, qui sont en principe ceux qui utilisent le plus les téléphones portables. Cette tendance a été attribuée à l’amélioration du diagnostic ainsi qu’à l’allongement de la durée de vie.

Toutes ces données contredisent les découvertes et les prédictions d’Hardell, qui recommande d’éviter l’utilisation du portable chez les jeunes de moins de 20 ans.

On peut donc affirmer que les résultats qui ont poussé le CIRC à prendre cette décision de classement des CEM-RF dans le groupe des agents « possiblement cancérogènes pour l’être humain » n’ont pas été confirmés par l’épidémiologie. En outre, les preuves les plus récentes contredisent les découvertes d’Hardell et de ses collaborateurs, dont les études doivent être remises en question.

Qu’en est-il de l’étude récente sur des rats ?

Après Mary Fleychting, qui s’est focalisée sur les études épidémiologiques, la scientifique Florence Poulletier De Gannes est intervenue pour faire le point sur les résultats concernant les animaux de laboratoire.

Elle est revenue sur deux études très solides, réalisées sur des rats. Publiées en 2018, elles révélaient un lien entre l’exposition aux CEM-RF et un type de cancer du cœur (extrêmement rare chez les humains). Ce résultat ne concernait que les rats mâles. L’une de ces études était issue du Programme national de toxicologie (NTP) des États-Unis, l’autre émanait de l’Institut Ramazzini en Italie.

Problème : ces deux études comportent des incohérences et des limitations qui freinent grandement l’applicabilité de leurs résultats lorsqu’il s’agit d’établir des modèles ou des limites d’exposition, et restreignent leur utilité. Surtout, lesdites limitations font obstacle à leur extrapolation sur l’être humain.

En définitive, il n’existe donc à l’heure actuelle toujours aucune preuve solide avalisant un lien entre l’utilisation des téléphones portables et le développement de cancer. Non seulement l’épidémiologie ne confirme pas cette hypothèse, mais de plus les résultats obtenus chez l’animal restent fragiles et contestables.

Alberto Nájera López, Profesor Contratado Doctor de Radiología y Medicina Física, Universidad de Castilla-La Mancha

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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