Les jeunes nés après 1995, désignés par le terme « génération Z » et portés par la 4e révolution industrielle, imposent une remise en cause des pratiques de management au sein de l’entreprise. Une des thématiques clés est le rapport à la fidélité. Alors que la fidélité et la loyauté à long terme étaient des principes propres aux générations passées (les baby-boomers et la génération X), les jeunes semblent ne plus sacraliser l’entreprise, et peuvent même la quitter sans état d’âme rapidement après leur embauche.

Un jeune Français sur deux refuse ainsi de s’engager dans l’entreprise à long terme, privilégiant le statut plus souple et flexible d’intérimaire ou de « free-lance ». De plus, si le phénomène de « slashing », qui désigne le fait de cumuler plusieurs activités professionnelles, concerne toutes les générations, il touche particulièrement les jeunes de moins de 30 ans (39 % contre 19 % des plus de 60 ans), maîtrisant parfaitement le digital et vivant dans une culture de l’instantanéité.

Dès lors, comment repenser la question de la fidélité de la jeune génération à l’entreprise ? Pour répondre à cette question, nous avons mené une étude de cas, à paraître dans la Revue de gestion des ressources humaines, auprès d’une grande enseigne française de distribution d’articles de sports réputée par son attractivité auprès des jeunes.

« Ils ne veulent pas un 9h-18h »

L’étude de cas met en évidence l’émergence d’une nouvelle conception de la fidélité chez les jeunes, qui s’appuie sur des dimensions à la fois émotionnelle, sociale, collaborative, intrapreneuriale et éthique.

Tout d’abord, la dimension émotionnelle transparaît dans la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et de sens, bien plus que dans la recherche d’une sécurité financière. Un manager en témoigne :

« Les jeunes veulent un équilibre, ils ne veulent pas un 9h-18h. Ils veulent leur équilibre de telle façon à se sentir le mieux possible ; il y en a qui travaillent mieux le soir, d’autres mieux le matin ».

La dimension sociale de la fidélité repose sur le besoin d’intégration au groupe et la fierté d’appartenance à l’organisation, comme en atteste un jeune salarié :

« Il faut être surtout disponible pour ton équipe et pas seulement pour ton employeur. La fidélité, je la vois surtout à l’équipe ».

La dimension sociale de la fidélité s’étend à la dimension collaborative, dans le sens où les jeunes attendent de leur entreprise qu’elle leur confie des projets variés dans lesquels ils peuvent prendre des responsabilités ensemble, en équipe. Un manager précise :

« L’atout des jeunes, c’est qu’ils osent prendre des initiatives ensemble, discuter, dire ce qui ne va pas, être beaucoup plus dans le relationnel, en ayant moins peur ».

La dimension intrapreneuriale repose sur la possibilité non seulement de choisir son propre parcours au sein de l’entreprise, mais aussi de pouvoir en être acteur, en participant à la “vision” organisationnelle. Un jeune salarié apprécie ainsi les opportunités offertes par son employeur :

« Il y a cette notion de parcours où tu n’es pas enfermé dans un métier. De plus, les jeunes sont acteurs et peuvent donner leur point de vue ; leurs initiatives servent la vision de l’entreprise ».

Enfin, la dimension éthique de la fidélité est apparue encore plus clairement pendant la crise sanitaire, qui a mis en évidence un besoin très prégnant de sens, d’utilité sociale des jeunes à travers des missions dans lesquelles ils peuvent s’engager pour défendre des causes environnementales et/ou sociales.

Nouvelles politiques de fidélisation

Face à ces multiples ressorts de la fidélité observés chez la génération Z, les entreprises travaillent aujourd’hui sur quatre leviers principaux dans leur politique de fidélisation des jeunes : 1) le bien-être, 2) l’authenticité et l’affectivité, 3) la création et l’engagement ainsi que 4) l’utra-connexion et le partage.

Le premier levier, reposant sur le bien-être, peut passer par une meilleure prise en compte des préférences des jeunes en matière d’horaires de travail, en développant des politiques de flexitime par exemple, qui donnent aux employés la possibilité de travailler selon les heures de leur choix. Des sociétés américaines comme Microsoft ou Google sont passées à la semaine de 4 jours en 2021.

Le deuxième levier vise la recherche d’authenticité et d’affectivité. Ce levier repose par exemple sur le développement de la responsabilité sociétale de l’entreprise, et inclut une évolution du rôle du manager, appelé à remplacer les rôles de supervision et de contrôle par ceux d’accompagnement et de coaching, visant à accompagner et à faire « grandir » les jeunes dans l’entreprise. La mobilisation des étudiants d’AgroParisTech appelant à déserter l’agro-industrie en pleine remise de diplôme marque un signal : nombreux sont les jeunes qui refusent de travailler dans des entreprises n’ayant pas mis en place de politique à la hauteur des enjeux environnementaux et sociaux.

Le troisième levier, à savoir la création et l’engagement, appelle à encourager le sens de la création et de l’engagement des salariés, à travers des méthodes faisant appel à la co-création et à la responsabilisation (empowerment) des salariés, comme en témoigne le développement de l’intrapreneuriat au sein même de l’organisation. Suivant l’exemple bien connu de Google qui a autorisé très tôt ses salariés à consacrer un jour par semaine à un projet autre que celui de leur mission, la banque Société Générale a mis à contribution ses collaborateurs pour inventer « la banque de demain ».

Enfin, le quatrième levier, encourageant l’ultra connexion et le partage, s’appuie sur une adaptation de l’espace de travail à la fois numérique et physique. Certaines pratiques, telles que l’aménagement de l’espace de travail, ou encore la “gamification”, sont considérées comme des dispositifs permettant de renforcer la fidélité des jeunes recrues, tout en s’inscrivant dans leurs usages des technologies numériques. Par exemple, l’entreprise Welcome to the Jungle, a créé une monnaie virtuelle le « monkey » afin de valoriser le travail des collaborateurs. Le principe est simple : chaque jour, chaque membre de l’entreprise reçoit 10 monkeys qu’il doit utiliser pour récompenser ses collaborateurs.

Toutes ces pratiques de fidélisation sont appelées à se généraliser, au risque de se couper de la génération Z, ce qui serait d’autant plus problématique qu’elle constitue un élément moteur du renouvellement des compétences et de la transformation digitale des entreprises.The Conversation

Elodie Gentina, Associate professor, marketing, IÉSEG School of Management; Aurélie Leclercq-Vandelannoitte, Chercheuse, CNRS, LEM (Lille Economie Management), IÉSEG School of Management et Véronique Pauwels, Associate Professor, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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