La guerre d’Ukraine bouleverse les priorités. La géopolitique éclipse à nouveau les enjeux environnementaux. Faut-il notamment craindre pour le traité de non-exploitation des ressources minérales de l’Antarctique  ? Anne Choquet, enseignante-chercheuse en droit à l’Institut universitaire européen de la mer, revient sur l’histoire d’une coopération internationale inédite pour la protection de l’Antarctique, qui tient bon jusque-là

« L’histoire est assez incroyable. L’aventure commence il y a maintenant plus de 60 ans, en pleine Guerre froide. Des scientifiques du monde entier participent à l’Année géophysique internationale (AGI). L’événement est sans précédent. La coopération est telle que les États dépassent leurs clivages politiques et signent le Traité sur l’Antarctique. En 1959, le continent blanc devient une terre de paix. Toutes les décisions sont prises au consensus. Son régime juridique est très particulier. Les États, qui n’ont pas la même approche en matière d’appropriation du territoire, ont gelé la question des prétentions territoriales.

Historiquement, la Russie (1) fait partie des États qui n’avaient pas de prétention, contrairement à la France ou à l’Australie. Les bases scientifiques se sont donc établies là où elles présentent un intérêt scientifique.

Dans les années 1980, des approches géophysiques laissent à penser que le continent est riche en ressources minérales, notamment pétrolières. Les entreprises voient dans ces terres un nouvel Eldorado. Les États réfléchissent alors à une règlementation sur l’exploitation minière consacrée à Wellington en 1988. Mais deux marées noires (2) convainquent les États de ne pas ratifier la convention. Avec la naissance d’une conscience écologique mondiale est signé trois ans plus tard le Protocole de Madrid. L’article 7, notamment, n’admet aucune ambiguïté : toute exploitation des ressources minérales du 6continent, qui ne soit à but scientifique, est strictement interdite. Les textes reprennent l’esprit du traité sur l’Antarctique qui garantit la liberté de la recherche scientifique et la coopération internationale.

Raréfaction des ressources minérales

Ces dernières années, cependant, avec la raréfaction des ressources minérales et l’évolution des technologies, certains ont craint que la pression pour l’extraction l’emporte sur les préoccupations environnementales. Mais, à l’occasion de l’anniversaire du traité en 2021, tous les États « Parties consultatives » au Traité sur l’Antarctique, y compris la Russie, ont réaffirmé leur engagement. Les enjeux environnementaux et la coopération demeurent alors prioritaires.

Mais en tant que juristes, nous n’avions pas imaginé la situation actuelle. Et à chaque conflit, malheureusement, l’environnement passe au second plan. Cependant, le système juridique du traité ne permet pas la levée de l’interdiction de l’exploitation minière par la Russie, même avec quelques alliés. Il faut un consensus. De plus, exploiter des ressources minérales à plus de 15 000 kilomètres, alors qu’elle en a chez elle me paraît peu rentable.

Nous verrons à la prochaine réunion consultative du Traité sur l’Antarctique (RCTA) si des États, et notamment la Russie, choisissent d’évoquer la problématique de l’exploitation des ressources minérales, alors que ces dernières années les enjeux actuels ont été principalement le tourisme en Antarctique et le changement climatique ».

Propos recueillis
par Sophie Nicaud

(1) Pour devenir partie consultative, l’État doit démontrer qu’il a mené des activités substantielles de recherche en Antarctique.
(2) Marées noires avec le Bahia Paraiso en Antarctique et l’Exxon Valdez en Arctique en 1989.

Anne Choquet est aussi membre du Comité national français des recherches arctiques et Antarctiques (CNFRA). Elle réfléchit au bien-fondé des règles internationales et aux améliorations à y apporter.

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