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L’actualité de l’été 2017, puis de l’été 2018, a résonné de nombreux échos concernant le « surtourisme » et les effets du tourisme de masse. Les médias s’appuyant sur des phénomènes de rejet, plus ou moins marqués, du tourisme par des habitants, voire par des élus, de certaines villes ; ce fut notamment le cas à Barcelone ou à Saint-Sébastien (Espagne). Et les derniers chiffres du tourisme en France pour 2018 – on devrait dépasser le cap des 90 millions de visiteurs – ne manqueront pas de relancer le débat

Commençons par lever un malentendu, pour ne pas dire une ambiguïté : le problème n’est pas la masse mais la densité, la concentration.

Un petit nombre de touristes dans un milieu (habité ou naturel) fragile peut causer plus de dégâts qu’un grand nombre dans un lieu, un territoire, aménagé et organisé pour les recevoir.

J’ai pu ainsi voir les effets de l’arrivée de quelques routards dans un village de la minorité Zhao dans le nord du Vietnam, à l’occasion de ma participation (en 2003) au programme de coopération décentralisée de la région Aquitaine avec la province de Lao Cai. Le très léger afflux de résidents, fut-ce pour quelques jours seulement, a déréglé le très délicat système local d’épuration des eaux usées par lagunage dans les rizières. Résultat : une épidémie de dysenterie. De tels exemples sont innombrables.

Il s’agit en fait d’un phénomène de concentration spatiale et temporelle tout à fait comparable à celui de l’urbanisation des sociétés : les emplois et services attirent de nouveaux habitants, lesquels demandent et génèrent de nouveaux emplois et services, etc. « La foule attire la foule ».

La question de la densification

Il faut ensuite rappeler sur quoi repose historiquement le tourisme de masse, et plus particulièrement la dimension sociale de l’accès pour tous aux vacances.

Dès lors que l’on a posé que tout salarié devait pouvoir accéder aux vacances avec sa famille – ce qui fut le cas en 1936 avec les premiers congés payés –, on a par définition généré les prémisses d’un tourisme de masse. Certains font même remonter ce phénomène aux premiers voyages organisés, tels que celui mis sur pied par Thomas Cook en 1841.

Si la question de la maîtrise des effets du tourisme n’est pas nouvelle – on se souviendra avec intérêt de l’aménagement de la côte aquitaine dans les années 1970 par la MIACA –, l’accentuation des flux et de la densification dans certains lieux, certains territoires, amène à reconsidérer les enjeux du développement touristique, à l’aune des questions clés du développement durable.

Pour une meilleure dynamique spatiale

Posons d’abord qu’une vision strictement quantitative de ces enjeux ne saurait permettre de gérer les effets du tourisme de masse, voire risque de les aggraver.

La volonté de l’État, exprimée en son temps par Laurent Fabius, d’atteindre l’objectif de 100 millions d’arrivées internationales par an, laisse songeur. Où va-t-on « caser » ces 15 millions (environ) de touristes supplémentaires par an, et que fera-t-on des 20 autres millions promis par certains experts ? Ne va-t-on pas accentuer les concentrations de flux et de fréquentation ?

Un premier levier de mise en cohérence du tourisme de masse avec le développement durable serait donc de privilégier des politiques permettant l’augmentation de la dépense par touriste plutôt que l’augmentation de la fréquentation. On peut aussi s’interroger sur l’objectif d’augmenter les entrées de visiteurs internationaux, alors qu’il y a certainement encore des marges de manœuvre sur le tourisme domestique ou, a minima, sur la fréquentation venant des pays voisins.

Et sans forcément s’inspirer des travaux sur la réduction de la pauvreté par le tourisme comme ceux de François Vellas, on peut considérer que la priorité doit être celle d’une meilleure répartition territoriale des flux et de la valeur ajoutée touristique.

Cet objectif, inscrit dans nombre de politiques territoriales, était déjà présent dans le projet de la MIACA, et continue de guider l’action de certaines collectivités, comme la région Nouvelle-Aquitaine ou le département de la Gironde, confrontés à la difficile articulation entre d’une part un littoral très attractif et quelques pôles urbains ou ruraux également très fréquentés, d’autre part un arrière-pays où le tourisme est très diffus.

Or les phénomènes de concentration spatiale et temporelle ne font que s’accentuer : comment persuader un touriste chinois qui veut visiter Bordeaux, voire le vignoble, d’aller « voir plus loin » ? Des travaux d’étudiants de l’université Bordeaux Montaigne, ont abordé cette question pour la métropole bordelaise, notamment sur la possibilité de développer une réelle attractivité sur la rive droite. C’est aussi un objectif de l’Office de tourisme de Bordeaux Métropole. Mais le tropisme des clientèles pour les lieux où « il faut être allé et être photographié » ne faiblit pas, bien au contraire.

Reportage sur une visite des agences de tourisme chinoises dans le vignoble de Fronton (France 3/Youtube, 2018).

Comment limiter les dégâts environnementaux ?

Les multiples effets de la fréquentation touristique sur l’environnement, les milieux naturels et les ressources amènent à trois types de solution.

Il faut d’abord tenter de limiter les effets du tourisme de masse par différents dispositifs et technologies, pour diminuer la consommation d’eau et d’énergie par exemple… mais cela n’a de sens que si la pression touristique baisse. Or si l’on prend l’exemple du transport aérien, son impact global n’a pas diminué, dans la mesure où la réduction de la consommation de carburant sur les avions récents est accompagnée (précédée ?) d’une forte augmentation du trafic aérien.

On peut ajouter que ce type d’approche relève parfois du greenwashing, jusqu’à l’exemple caricatural de l’Airbus A380 qualifié à sa sortie d’« avion écologique » !

Une autre approche de ces enjeux est d’inverser le problème : et si le tourisme était vecteur d’éducation et de sensibilisation environnementale ? Si au lieu de tenter désespérément d’empêcher les flux, on les canalisait et on profitait pour travailler la conscience environnementale des publics ?

À ce titre, la politique dite des « grands sites » comme celui de la dune du Pilat sur le bassin d’Arcachon est intéressante, voire exemplaire.

Dysneylandisation de la planète

Un des grands reproches faits au tourisme de masse et aux touristes est l’indifférence (relative) de ces derniers aux populations locales et à leur mode vie, à leur culture. Il faut toutefois souligner que les acteurs locaux, les décideurs publics et privés, sont largement responsables de ce qui relève du travestissement, de la folklorisation, ou pour reprendre la formule de Sylvie Brunel, de la « dysneylandisation » de la planète, par le tourisme mais pas seulement.

Une des réponses apportées à cette question est la prolifération des discours et slogans sur le thème « live like a local » (« Vivez comme un local ») et sur l’authenticité. Il faut ici dénoncer ce qui relève d’une posture, voire d’une imposture, on en tout cas au mieux de ce qu’on appelle en marketing un « produit de niche ».

Qu’on m’explique par exemple comment les dizaines de milliers de touristes venant chaque année sur le bassin d’Arcachon vont pouvoir vivre la « vraie vie authentique » d’un ostréiculteur ? Et puis, la ville travestie, muséifiée, mise en scène pour les touristes, cela commence en fait par la transformation pour les habitants et notamment les néo-résidents, par la gentrification. D’ailleurs, la quasi-totalité des projets urbains récents, comme celui de Bordeaux, n’ont pas intégré les problématiques touristiques.

Plutôt donc que de vouloir « jeter le bébé avec l’eau du bain » et de se réfugier dans des postures opposant le vertueux voyageur au néfaste touriste (car non, le touriste, ce n’est pas « l’autre », comme le fait remarquer le sociologue Jean‑Didier Urbain), il importe de faire en sorte que le tourisme de masse garde sa place en tant que moyen d’accès du plus grand nombre aux vacances, mais que les enjeux du développement durable soient beaucoup plus vigoureusement intégrés dans les stratégies et politiques.The Conversation

Alain Escadafal, Enseignant-chercheur en marketing et développement touristique, Université Bordeaux Montaigne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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