père noëlWritting letter to Santa Claus, overhead.

Comme tant d’autres parents autour du monde, J.R.R. Tolkien, le célèbre auteur du Seigneur des anneaux, a consacré beaucoup de temps et d’efforts à faire de Noël un moment de joie pour ses enfants. À ceci près qu’il s’agit d’un homme dont l’imagination a donné vie à un vaste monde, recélant des milliers d’années de légendes. Il y a fait vivre des créatures de tous ordres, décrit des guerres et des batailles, et même inventé des langues. Inévitablement donc, ses traditions familiales avaient quelque chose d’exceptionnel

Chaque année, de 1920 à 1942, les enfants Tolkien – d’abord John, puis Michael, Christopher et Priscilla – vont recevoir une lettre du père Noël. Celle-ci serait écrite de sa main semblable à une araignée (après tout, il s’agit d’un très vieil homme) et illustrée de scènes amusantes de la vie au Pôle Nord. En 2018, les « Bodleian Librairies » d’Oxford ont exposé ces lettres aux côtés d’autres manuscrits, œuvres d’art, cartes et autres créations de Tolkien venues du monde entier.

L’exposition organisée à la Bibliothèque nationale de France en 2019 s’arrêtait elle aussi sur cette facette du célèbre poète, professeur et romancier.




À lire aussi :
L’exposition Tolkien à la BnF, voyage dans un univers parallèle


Influence américaine

Tolkien n’est pas le premier écrivain à adresser des lettres de la part du père Noël à ses enfants. Mark Twain a écrit une célèbre « lettre de Santa Claus » pour sa fille aînée, Susie Clemens. Et même si Tolkien a conservé le nom anglais du personnage, son père Noël est associé à de nombreux éléments du folklore américain.

La représentation d’un Santa Claus vêtu de rouge et blanc, juché sur un traîneau tiré par des rênes, et distribuant des cadeaux aux enfants chaque réveillon de Noël, vient du poème le plus célèbre peut-être de la langue anglaise : « La nuit avant Noël ». Écrit au XIXe siècle par Clement Moore ou Henry Livingston (la paternité de l’œuvre fait l’objet de débats), ce poème américain classique campe Saint-Nicolas, ou Santa Claus, tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Cet imaginaire autour de Santa Claus a été enrichi par l’illustrateur germano-américain Thomas Nast, qui a adjoint au père Noël des elfes pour l’assister, ainsi qu’un atelier de fabrication de jouets, le représentant comme un personnage domicilié au Pôle Nord, où il reçoit régulièrement des lettres d’enfants.

Tolkien emprunte librement à toute cette culture pop américaine qui arrive vers la fin du XIXe siècle en Grande-Bretagne et y rencontre un immense succès. Mais il emmène aussi son père Noël dans d’autres directions, autour de sa propre mythologie de la Terre du Milieu, qu’il élaborait en parallèle.

Anciens et nouveaux amis

Bien sûr, il y a des elfes au Pôle Nord de Tolkien. Mais, au-delà de leur petite taille, de leur allure joviale et de leurs chapeaux pointus (loin de l’univers du Seigneur des anneaux), ils appartiennent à des familles différentes : les Elfes des neiges, les Elfes rouges, ou gnomes, les Elfes verts – un peu comme on peut trouver de Hauts Elfes, et des Elfes Sylvains dans le roman.

Certains de ces elfes de Noël sont de féroces guerriers, qui faisaient mordre la poussière aux mauvais gobelins pendant les batailles. Ces gobelins sont les précurseurs de ceux que l’on croise dans Le Hobbit, et plus tard des Orques. Ils vivent sous terre, aiment creuser des tunnels et font peser une menace permanente pour Noël.

En même temps, Tolkien enrichit considérablement la mythologie de Noël. Le meilleur ami du père Noël (aussi un incorrigible garnement) est l’ours polaire, dont les singeries sont au cœur des premières lettres. Plus tard, ses neveux Paksu et Valkotukka (qui veulent respectivement dire « gros » et « cheveux blancs » en finnois) apportent des bouffées d’air comiques et illustrent l’amour de Tolkien pour cette langue qui a influencé l’un des idiomes qu’il a créés, Quenya, parlé par les elfes de la Terre du Milieu.

S’y ajoutent quelques mythes « étiologiques », expliquant l’origine de certaines choses qui se passent dans le monde réel des enfants de Tolkien. Si l’on retrouve des chocolats en miettes, c’est que l’ours polaire les aurait écrasés. Et si l’on voit une lumière vive se détacher sur le ciel nocturne, elle vient sûrement du gigantesque arbre de Noël du Pôle Nord.

Innocence perdue

D’autres détails et inventions rendent ce monde glacé merveilleux et intriguant. Le père Noël a dans sa cave un robinet qui lui permet d’allumer les aurores boréales. On trouve de l’art rupestre hérité des hommes préhistoriques dans les grottes des gobelins, parmi lesquelles des peintures de mammouths et de rennes. Et les petits garçons de neige (les fils des bonshommes de neige qui vivent dans les environs) sont invités aux fêtes organisées dans la maison du père Noël.

Encore plus tolkienien, on trouve là des langues et des alphabets inventés. Un elfe nommé Ilbereth, qui devient le secrétaire du père Noël, souhaite aux enfants un joyeux Noël en langue elfique, ce qui s’impose comme une variante du système d’écriture tengwar de Tolkien, le même que celui qui figure sur l’anneau unique du Seigneur des anneaux. Et l’ours polaire énonce une phrase en « arctique » (une version du Quenya) et nous présente un alphabet qu’il a conçu à partir de symboles gobelins.




À lire aussi :
Les langues elfiques de Tolkien, plus populaires que l’espéranto


Les « Lettres du père Noël » ont été publiées après la mort de Tolkien en 1973, et leur popularité durable est due, selon moi, à la longue saga de Noël qu’elles créent et à la drôlerie et l’émotion de la voix paternelle qui les traverse.

Rédigée alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, la poignante « lettre finale », quand le père Noël fait ses adieux aux enfants maintenant trop âgés pour déposer leurs chaussons devant le sapin, marque la fin de l’innocence à plus d’un titre. Mais le mythe du père Noël est toujours d’actualité et continue d’être l’une des lectures de fête préférée des enfants du monde entier.


Traduit de l’anglais par Aurélie DjavadiThe Conversation

Dimitra Fimi, Lecturer in Fantasy and Children’s Literature, University of Glasgow

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Fermer la popup
?>