Caractéristique commune à de nombreuses personnes, la timidité est-elle un défaut ou au contraire une force ? À quoi est-elle due ? Faut-il la vaincre ? Comment ? Le point avec Antoine Pelissolo, psychiatre et co-auteur d’un ouvrage sur la peur des autres

« La timidité a été le fléau de toute ma vie ; elle semblait obscurcir jusqu’à mes organes, lier ma langue, mettre un nuage sur mes pensées, déranger mes expressions », écrivait Montesquieu1. Décrite ainsi, la timidité effraie. Dans le même temps, on nous dit qu’être timide est un atout, qu’un individu timide est observateur et altruiste, capable d’écoute et d’empathie.

On trouve ce trait de caractère « mignon » et « anodin » chez les enfants ou les jeunes femmes, pour qui ont fait preuve d’une bienveillance condescendante… Pour d’autres, la timidité constituerait au contraire une faiblesse à surmonter. Des constats : elle peut être source de moqueries et un frein dans la vie professionnelle, sociale et affective.

Qu’en pensent les psychiatres à l’heure où les technologies numériques modifient nos manières d’entrer en contact tout en favorisant harcèlement et culte de l’image de soi ?

60 % des Français se disent timides

Définissons d’abord la timidité : « C’est la peur de situations nouvelles où l’on risque d’être jugé(e), associée à un manque de confiance en soi. Elle existe à divers degrés : de la timidité simple avec une légère gêne en société à la phobie sociale s’accompagnant parfois de crises de panique handicapantes », indique Antoine Pelissolo, psychiatre, chef de service au CHU Henri Mondor à Créteil et professeur de médecine à l’université Paris-Est Créteil, co-auteur d’un ouvrage2 sur le sujet avec les psychiatres Christophe André et Patrick Légeron.

« Les causes sont multiples : il y a des prédispositions génétiques, des facteurs physiologiques, l’éducation joue aussi tout comme les pressions sociétales et l’histoire individuelle », explique le psychiatre. Cette crainte du regard et du jugement des autres est largement répandue puisque, selon un sondage3, 60 % des Français se disent timides.

Des conséquences physiques et sociales nombreuses

La timidité se manifeste par une appréhension au moment de prendre la parole en public, avec quelques signes physiques (bouche sèche, gorge qui se noue, rougissements…). Lorsqu’elle est plus sévère, « elle se traduit par une tendance à éviter les situations et, lors des confrontations, une tension nerveuse, des difficultés à se concentrer, un rythme cardiaque et un débit de parole accélérés ou, au contraire, un effacement voire le retrait. La vie sociale, professionnelle et sentimentale des timides risque d’être marquée par des occasions perdues, la timidité conduit souvent à la solitude4 », indique le docteur Pelissolo.

Une anxiété sociale qui se soigne

Pas de panique : pour vaincre cette peur, des solutions existent : « Il faut consulter un psychologue. Celui-ci peut mettre en place une thérapie comportementale et cognitive (TCC) dont l’efficacité est démontrée dans l’anxiété et la phobie sociales. À suivre de préférence en groupe pour des résultats plus rapides. La TCC met à jour des peurs cachées, des traumatismes du passé, une faible estime de soi… En dernier recours, des antidépresseurs pourront être prescrits dans les troubles anxieux sévères. »

Réduisant les interactions réelles avec autrui, les écrans peuvent être perçus par les timides comme une aide précieuse. « Erreur ! Se replier derrière un écran risque d’aggraver la situation. Les réseaux sociaux facilitent le harcèlement, véhiculent le culte de l’image de soi et renforcent les doutes et des complexes. L’apparence factice et virtuelle affecte la confiance en soi », souligne le docteur Pelissolo. En suivant les conseils du thérapeute et en les appliquant « IRL » (in real life), le timide parvient en général à surmonter sa crainte d’être jugé par les autres.

Florence Heimburger

  • 1Œuvres complètes de Montesquieu : discours, lettres, voyage à Paphos de Charles Secondat De Montesquieu.
  • 2« La Nouvelle Peur des autres. Trac, timidité et phobie sociale » (éd. Odile Jacob, 2023).  
  • 3Sondage IFOP avril 1992 pour Top Santé auprès d’un échantillon représentatif constitué de 1000 personnes âgées de 15 ans et plus.   
  • 4Jones W. A. et coll., « Loneliness and social anxiety », in H. Leitenberg (dir.), Social and Evaluation Anxiety, op. cit., p. 247-266.

Avec le soutien du ministère de la culture

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