Tirant ses origines du surf et du skateboard nés de la contre-culture américaine des années 1960, le freestyle est une pratique sportive protéiforme aux valeurs alternatives qui s’applique aujourd’hui à de nombreuses activités plus conventionnelles (football, canoë-kayak, etc.). Le phénomène est étonnant en raison du caractère libre, créatif et anti-compétition du freestyle, jadis souvent décrié comme incontrôlable et dangereux par les mêmes structures fédérales qui désormais cherchent à l’intégrer afin de redynamiser leurs sports.

Ainsi le surf, le skateboard, le BMX ou encore le breaking seront représentés aux Jeux olympiques de Paris 2024, et ce au grand désarroi d’une partie de la communauté freestyle qui s’inquiète pour sa culture menacée d’être dévoyée par les politiques fédérales. L’intégration du freestyle aux JO demeure donc un processus social contesté.

Des pratiques sportives traditionnelles bouleversées

Depuis les années 2000, le sport institutionnel français voit son attractivité s’essouffler. Dans une étude de 2022, le CDES constate un plafonnement du nombre de licenciés et une désinstitutionnalisation des pratiques qui se sont accélérés depuis la crise sanitaire. Le modèle traditionnel d’une monopratique axée sur la compétition et encadrée est mis à mal par les sportifs hédonistes. Conséquence : le monde fédéral a perdu 70 000 licenciés en 2018 ; la tendance s’est confirmée en 2020 (-7 % de licences).

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Parallèlement, les sports autonomes, hors compétition et en pleine nature se démocratisent. L’après-Covid a vu se multiplier le nombre de surfeurs (environ 1 million en France) et de skateboarders (entre 1 et 2 millions). En 2022, 49 % des collégiens déclaraient faire du skateboard, du roller ou de la trottinette contre, par exemple, 41 % pour le Tennis. Selon l’Injep, la glisse urbaine figure dans le Top 5 des activités les plus prisées des jeunes.

Mais si les sports dits freestyle se sont popularisés, leurs fédérations ne semblent pas en avoir pleinement profité. Étonnamment, la Fédération française de roller skating n’a connu une hausse de ses licenciés que de 3,8 % depuis 2016 (63 231 en 2022) et ne représente que 2,86 % des licenciés en sports individuels, loin derrière le golf et la natation. La division skateboard ne rassemblerait qu’environ 3 000 licenciés et 150 clubs alors que la France compte plus de 2 500 skateparks et que la ville de Bordeaux rassemble à elle seule environ 35 000 skateurs. De son côté, la Fédération française de surf a connu une baisse de -15,1 % de ses licenciés (14 947 en 2022) alors que l’ensemble des fédérations des sports de nature ont enregistré une baisse de seulement -1,7 %. Le surf ne représente que 0,74 % des licenciés en sports nature… Mais donc quelles sont les raisons d’un si faible encadrement fédéral du freestyle ?

Le freestyle : une révolution culturelle

L’établissement et le respect d’un code réglementaire sont l’essence même du sport fédéral. Car sans règle, il ne peut y avoir ni d’enjeu sportif, ni de classement, de record, de victoire ou de défaite. Selon le sociologue Pierre Parlebas, le sport concerne des situations motrices codifiées sous forme de compétition et institutionnalisées. Or le freestyle ne se définit pas exclusivement par des activités physiques et encore moins par des règles.

Dans son ouvrage Génération glisse, le sociologue Alain Loret date l’origine d’une révolution sportive à partir des années 1950 lorsque certaines communautés, comme les « surfers vagabonds » de Californie, ont associé à leur pratique physique un désir de marginalisation, de déviance et de contestation sociales. Progressivement, une nouvelle (contre) culture sportive s’est diffusée avec comme valeurs la créativité, la liberté et la fraternité. L’écrivain Jack Kerouac, le surfeur rebelle Miki Dora (alias Da Cat) ou encore le skateboarder Jay Adams des Z-Boys incarnent dans le monde entier cette nouvelle vague. En France, Alain Loret évoque le navigateur et écrivain Bernard Moitessier qui refuse de passer la ligne d’arrivée pour remporter la première course autour du monde à la voile en solitaire, préférant « se laisser porter » vers le Pacifique en déclarant « Ils ne comprendront pas. […] sauront-ils sentir que les règles du jeu ont changé peu à peu, que les anciennes ont disparu dans le sillage pour laisser la place à de nouvelles, d’un autre ordre ? » Ainsi, au-delà des innovations techniques et de l’avènement de l’image, le freestyle est né via la recherche de la découverte, du hors-piste, de l’extrême et par la volonté d’opter pour des modèles alternatifs rompant avec le cadre du sport traditionnel.

Freestyle et olympisme sont-ils compatibles ?

À l’issue de nombreuses années d’incompréhension et de tensions (suscitées par exemple par le détournement de l’espace urbain comme terrain de pratique, le freestyle a acquis une reconnaissance sociale protéiforme (économie, art, mode, médias, etc.). Certains concluront que les JO de 2020 en sont la meilleure récompense sociale et économique.

Le combat autour de l’authenticité du freestyle pourrait donc se révéler plus idéologique que réaliste. Pour preuve l’industrie du freestyle n’a pas attendu les JO pour développer la médiatisation, la professionnalisation et la commercialisation de ses pratiques dans les années 1990 à travers de grands évènements comme les X-Games. Dans la foulée, le CIO a logiquement intégré ces pratiques, tout comme de nombreux autres sports, pour récupérer l’audience perdue des jeunes générations sur les JO. Dès lors, si le phénomène d’institutionnalisation du freestyle (certes tardif) n’apparaît pas comme une aberration sociale et historique, son originalité vient plutôt de la contestation qu’il provoque.

Deux raisons principales peuvent l’expliquer et témoigner d’une crispation des positions de part et d’autre. Premièrement, le modèle alternatif porté par les freestylers, plus proche d’une philosophie de vie que d’un sport, est difficilement conciliable avec le régime disciplinaire et indifférencié des JO dont la devise est « Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble ». Ainsi, nombreux sont ceux qui voient dans les JO la menace d’une normalisation du freestyle au détriment de sa créativité et de sa liberté. La maîtresse de conférences Magali Sizorn s’interroge sur l’avenir du surf, du skateboard et du breaking qui pourraient connaître le même sort que le patinage et la gymnastique jadis uniformisés par des règles fédérales rendant des pratiques plus athlétiques qu’artistiques.

Certains conflits éclatent encore entre la communauté freestyle et certaines fédérations à l’orée des JO Paris 2024 (gestion des entraînements, sélection des riders, port exigé de la tenue officielle, architecture des installations sportives, etc.). Ils révèlent des oppositions sur les valeurs (différenciation versus uniformisation), sur l’exercice des pratiques (expression libre versus critères d’évaluation) ou sur l’objectif final visé (plaisir collectif versus performance individuelle).

Deuxièmement, l’intégration du freestyle aux JO dès la fin des années 1990 s’est réalisée sans considérer ses particularités culturelles. Le snowboard fut inclus comme discipline du ski, le windsurf encadré par la voile et le BMX par le cyclisme. Les instances se voient donc reprocher leur ignorance et leur manque d’écoute aboutissant à l’établissement d’une vision fédérale déconnectée. Comment des pratiques traditionnellement autonomes peuvent-elles être intégrées harmonieusement dans des structures fédérales avec lesquelles des désaccords endémiques persistent à ce jour ?

Si la volonté (nécessaire) de moderniser les JO dans un nouveau contexte socioculturel et économique favorise l’inclusion de nouvelles pratiques, le mariage semble encore compliqué entre une communauté inquiète pour l’avenir de son lifestyle et un monde fédéral qui ne reconnaît pas le freestyle comme une réelle opportunité de réformer en profondeur son modèle pourtant chahuté par de nouveaux acteurs plus agiles et disruptifs sur le marché du sport (comme la SportTech. L’institutionnalisation du freestyle n’a donc pas fini de susciter les débats autour de l’équilibre délicat à établir entre reconnaissance officielle et intégrité culturelle.

Jean-Sébastien Lacam, Enseignant en Sciences de gestion, ESSCA School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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