Il a souvent été suggéré que l’ancêtre de tous les primates était solitaire et que d’autres formes d’organisation sociale ont évolué plus tard. Or, pour la première fois, notre étude publiée fin 2023 a montré que l’ancêtre des primates, vivant il y a 70 millions d’années, avait en fait une organisation sociale variable avec environ 85 % des individus vivant en paire composée d’un mâle et d’une femelle et seulement 15 % des individus optant pour un mode de vie solitaire. Ces nouvelles découvertes bousculent donc notre compréhension de l’évolution sociale des primates et de l’homme.

Les systèmes sociaux sont constitués de différentes composantes, notamment l’organisation sociale (composition du groupe), la structure sociale (interactions entre les individus), le système de soins (qui s’occupe des nourrissons) et le système d’accouplement (qui s’accouple avec qui). Il a été avancé que ces composantes devraient être étudiées indépendamment les unes des autres pour comprendre l’évolution sociale, en particulier chez les primates. Par exemple, la vie en paire en tant que forme d’organisation sociale a souvent été assimilée à la monogamie, même si la monogamie fait référence à un système d’accouplement. Il est important de noter que les espèces vivant en paire peuvent varier considérablement dans leur système d’accouplement, par exemple dans le degré de paternité hors paire.

Une histoire de souris et de variation

L’organisation sociale décrit la taille, la composition sexuelle et la cohésion spatio-temporelle d’un groupe. Il existe trois grandes catégories d’organisation sociale : la vie solitaire (les mâles et les femelles vivent seuls avec ou sans progéniture à charge), la vie en paire (un mâle et une femelle vivant ensemble) ou la vie en groupe (un mâle et plusieurs femelles, une femelle avec plusieurs mâles, un groupe de mâles, un groupe de femelles ou un groupe de plusieurs mâles et femelles vivant ensemble).

Auparavant, il était largement admis que chaque espèce possédait une forme spécifique d’organisation sociale, qui variait d’une espèce à l’autre. Cependant, il a été récemment reconnu que l’organisation sociale peut également varier au sein des espèces. En effet, Schradin a découvert en 2018 que la souris rayée pouvait modifier son organisation sociale entre la vie solitaire, en paire et en groupe en fonction de facteurs écologiques et d’histoire de vie. Par exemple, lorsque la densité de population chez les souris rayées est importante, elles ont tendance à vivre en groupe.

Des variations intraspécifiques de l’organisation sociale (IVSO) ont également été signalées chez de nombreux autres taxons tels que les musaraignes et leurs proches, ce qui suggère que l’organisation sociale variable chez les mammifères pourrait être plus courante qu’on ne le pensait auparavant. Cependant, bien que l’IVSO ait été signalée dans certains ordres de mammifères, des études détaillées manquent encore pour la plupart des ordres. En considérant l’IVSO pour la première fois dans notre étude, nous avons transformé notre compréhension de l’évolution sociale des primates en décrivant plus précisément l’organisation sociale par rapport à une simple catégorisation.

450 espèces de primates analysées

Nous avons identifié les 450 espèces de primates à l’aide de la base de données de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) et avons ensuite mené des recherches bibliographiques sur l’organisation sociale.

Seule la littérature évaluée par des pairs issue d’études de terrain a été prise en compte, tandis que les revues, les études en laboratoire et les études en captivité ont été ignorées, afin de garantir que l’organisation sociale observée par une espèce donnée se produisait également dans son habitat naturel.

La répartition des organisations sociales parmi les populations de primates existantes. La figure montre comment nous avons codé l’organisation sociale par population comme étant solitaire, mâle-femelle (MF) ou vivant en paire, mâle-multifemelles (MFF), femelle-multimâles (FMM) ou multimâles-multifemelles (MMFF). Fourni par l’auteur

L’IVSO a été identifiée et entrée dans notre base de données lorsque différentes formes d’organisation sociale se produisaient au sein d’une population, indiquant un certain degré de plasticité dans l’organisation sociale d’une espèce. Cette recherche a donné lieu à plus de 2 000 articles analysés à la recherche d’informations sur l’organisation sociale. Parmi ceux-ci, un total de 946 articles contenaient des données utilisables. Dans l’ensemble, des données sur l’organisation sociale ont été trouvées pour 499 populations de 223 espèces.

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Une fois la base de données créée, nous avons intégré des données de traits d’histoire de vie pour chacune des espèces de primates pour lesquelles une organisation sociale avait été répertoriée dans la littérature primaire.

Notre base de données, associée à l’arbre phylogénétique des primates et à la création d’un modèle statistique développé par le Dr. Martin nous a permis de retracer l’évolution de l’organisation sociale des primates.

Des résultats inattendus

Grâce à notre méthodologie innovante, nous avons trouvé pour la première fois que l’ancêtre des primates avait en fait une organisation sociale variable avec 85 % des individus vivant en paire et 15 % des individus vivant de manière solitaire.

Ces résultats contrastent grandement avec les études précédentes qui avaient été menées sur l’organisation sociale ancestrale des primates. En effet, dans de précédentes études qui ne prenaient pas en compte l’IVSO, l’ancêtre avait été décrit comme vivant de manière solitaire.

Les avantages de vivre en paire

Ainsi, il semble que la vie en paire soit une pratique bien plus ancienne qu’on ne l’avait précédemment estimé, résultant de bénéfices reproductifs tels que l’accès à des partenaires et une diminution de la compétition entre les sexes. Parmi les nombreux avantages associés à la vie en paire, on peut également citer une meilleure accessibilité à la nourriture par rapport à la vie en groupe. Il demeure désormais nécessaire de comprendre les forces qui ont poussé l’évolution de la vie en paire vers la vie en groupe ou de manière solitaire. Dans un contexte de changements globaux et environnementaux, il serait également pertinent d’observer si les espèces présentant une organisation sociale variée réagiront à ces bouleversements en modifiant leur organisation sociale. Ainsi, la variation d’organisation sociale pourrait s’avérer bénéfique pour certaines d’entre elles.

Charlotte-Anaïs Olivier, Doctorante, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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