L’Intelligence artificielle et les progrès en imagerie permettent déjà de « lire » certains de nos rêves. Le neurologue Paolo Bartolomeo décrypte les découvertes récentes sur le fonctionnement de notre cerveau et de nos pensées

Lire dans nos pensées… Une expérience menée par une équipe de chercheurs japonais en 2013 a pu « lire » ou identifier des images mentales dans les rêves de personnes endormies. Ils ont réussi à identifier les zones du cerveau activées grâce à un couplage de nouvelles technologies : l’IRM f (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) et l’intelligence artificielle, soit un algorithme entraîné à traiter ces images.

« Même si cela reste grossier, cette technique permet en effet de décoder d’une manière assez générale ce que la personne peut rêver, si c’est un visage, une voiture… Selon la région du cerveau qui s’active, on peut même discriminer entre deux visages. Cela est possible aussi chez un sujet qui n’est pas endormi », explique le neurologue Paolo Bartolomeo, directeur de recherche à l’Inserm. L’auteur de Dernières nouvelles du cerveau (Ed. Flammarion, 2023) nuance : « Mais attention, cela ne permet pas du tout d’obtenir la narration du rêve ». Si, pour lui, on est loin de pouvoir lire dans les pensées, les nouvelles technologies de neuro-imagerie permettent cependant de mieux comprendre le fonctionnement de notre cerveau, gigantesque réseau de connections, de canaux, parcouru du ballet continuel des neurotransmetteurs et de signaux électriques

100 000 km de voies de communication entrecroisées

La complexité de notre pensée provient avant tout en effet de la capacité à se connecter et échanger des informations de nos millions de neurones. Nous en possédons tous 100 millions à la naissance. Ces derniers établissent des milliers de contacts par le biais des axones, des dendrites et des synapses. Il y aurait ainsi autant de synapses dans un cerveau que d’étoiles dans la galaxie. Une machinerie ultra-complexe. 

Une des découvertes récentes est justement la puissance de connectivité résidant dans l’une des parties du cerveau, placé sous le cortex, la substance blanche, qui contient d’énormes faisceaux de câbles, d’une longueur impressionnante : 100 000 km de voies de communication entrecroisées, très compactes. Lorsque l’information circule, elle parcourt ces câbles. 

Le rôle crucial de la connectivité cérébrale

« On savait depuis le XIXe siècle que cette substance avait un rôle important mais avec l’IRM de diffusion, qui permet de détecter les mouvements de molécules d’eau dans le cerveau, on peut désormais avoir une idée précise de la trajectoire des faisceaux et de leurs rôles », décrypte Paolo Bartolomeo. Les corrélations entre les différentes zones du cerveau alors même que certaines ne sont pas connectées anatomiquement, et de ce fait ce qu’on appelle la connectivité cérébrale, aurait un rôle beaucoup plus crucial qu’on ne le soupçonnait. 

Langage : l’hémisphère gauche a aussi besoin du droit 

Ces récentes découvertes ont ainsi rebattu les cartes sur les soi-disant zones « spécialisées » de notre cerveau : le langage et le contrôle des gestes par exemple localisés dans l’hémisphère gauche ou l’attention et le traitement des émotions situés dans l’hémisphère droit.  « Tout est plus complexe. On a découvert récemment que, pour le langage, les régions antérieures et postérieures de l’hémisphère gauche sont impliquées et que l’hémisphère gauche a aussi besoin de l’hémisphère droit. Le lien a aussi été démontré entre le langage et l’imagerie mentale. L’hémisphère gauche est aussi impliqué dans la perception des choses même si « la conscience » est plus localisée à droite », indique le neurologue. 

Des avancées surtout pour mieux réparer la pensée

Ainsi, dans le cas de lésions cérébrales, notamment suite à un accident vasculaire cérébral (AVC) ou à la maladie de Parkinson, les chercheurs s’intéressent désormais plus spécifiquement à étudier la connexion entre les deux hémisphères droit et gauche du cerveau. Dans le laboratoire de Paolo Bartolomeo, PICNIC de l’Institut du Cerveau, basé à Paris, l’une de solutions thérapeutiques étudiées repose sur les pouvoirs de la musique. « C’est une hypothèse que nous faisons et qui n’est pas démontré. Nous étudions cette piste car la musique a un stimulus qui active simultanément tant l’hémisphère droit que le gauche, déclenchant les circuits moteurs avec le rythme, les circuits pour comprendre et suivre la mélodie et ceux aussi du plaisir et de la récompense. L’écoute de la musique peut ainsi aider à reconnecter les deux hémisphères, faire en sorte qu’ils se « parlent » de nouveau. » 

En identifiant mieux les faisceaux touchés dans la substance blanche, les outils en neuro-imagerie vont, selon Paolo Bartolomeo, surtout permettre « de prévoir une rééducation adaptée selon chaque patient. Une médecine personnalisée, c’est ce vers quoi l’on va tendre dans le futur. »   

Marianne Peyri

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