Une molécule naturelle pourrait sauver les cerisiers et les oliviers d’un insecte ravageur. En empêchant des mouches de copuler sur place, la solution anti-aphrodisiaque Drosomous permet de se passer de produits chimiques

C’est une histoire qui pourrait s’appeler « la sérendipité de la drosophile ». Mais ce serait inutilement compliqué. Disons juste que c’est par un heureux hasard que les vergers de cerisiers et d’oliviers vont peut-être pouvoir être sauvés. Sans pesticides. Juste en faisant en sorte que leurs insectes ravageurs aillent voir ailleurs pour faire leur petite affaire.

Martine Berthelot-Grosjean étudie avec son époux, Yaël Grosjean, la manière dont les odeurs sont traitées par le cerveau. De la vraie science fondamentale opérée sur l’amie des labos : la mouche drosophile. Ses qualités ne sont plus à démontrer : capacité de reproduction, faible encombrement, résistance à la consanguinité ce qui permet d’isoler un fond génétique à étudier en particulier. Et aussi, quatre chromosomes seulement pour 77% de maladies génétiques communes à l’homme. Facile à étudier la mouche… D’autant plus que son génome a été séquencé. Et que même si son cerveau est tout petit, il peut effectuer des tâches complexes, comme adopter un comportement social différent en fonction des odeurs.

Empêcher les mâles de danser

Et c’est justement en répandant par mégarde une odeur particulière au sein de leur laboratoire du CSGA à Dijon que Martine Berthelot-Grosjean et ses collègues ont pu constater que ces effluves ralentissent voire stoppent totalement les parades amoureuses des mouches mâles. Et de fait, finissent par les empêcher de copuler. Du moins tant qu’elles sont à portée des molécules odoriférantes : elles poursuivent ensuite sans problème leur vie amoureuse ailleurs. Et comme c’est une partie non négligeable de leur motivation dans la vie, elles quittent les lieux.

Mais surtout cette découverte fortuite est exploitable non pas envers la paisible Drosophila Melanogaster qui squatte nos corbeilles de fruits mais envers sa cousine invasive, Drosophila Suzukii. Arrivée en France il y a une dizaine d’années, cette mouche s’est attaquée aux fruits rouges dont elle scie la peau avant maturation avec un appendice caudal avant d’y déposer ses larves qui finissent de faire pourrir le fruit. Environ 50% de la production de cerises a ainsi été perdue en 2018. Et les producteurs sont désemparés : les seuls produits efficaces contre ce nouveau fléau sont des produits phytosanitaires interdits parce que dangereux.

Sauvetage des olives et des cerises

Tout naturellement, les Berthelot-Grosjean se sont tournés vers Sayens, la société d’accélération du transfert de technologies (SATT) Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est qui les a aidé à breveter leur trouvaille. La SATT Sayens les a aussi mis en contact avec Cearitis, une start-up fondée deux cousines intéressées par le bio-contrôle. Essentiellement contre la mouche de l’olivier qui s’attaque aux plantations de leurs grands-parents. Une vraie histoire de famille. Comme pour les mouches puisque celles de l’olivier sont aussi sensibles aux mêmes odeurs que celle du cerisier.

Voilà deux cultures potentiellement protégées par une molécule facile à fabriquer (contrairement aux phéromones sur lesquelles on s’était concentré jusqu’alors pour chasser les insectes) que l’on trouve à l’état naturel dans le fromage, dans des végétaux macérés et dont on se sert déjà pour protéger le pain de la moisissure ou en parfumerie.

Les premières études sur l’olivier montrent une efficacité à 90% (la même qu’avec des produits chimiques) et à 70% sur le cerisier. Mieux encore : potentiellement, la plupart des insectes seraient sensibles à cette odeur mais en maîtrisant les doses, on peut sans doute choisir ceux que l’on veut garder et ceux que l’on veut chasser. Tout ça en gênant les mâles lorsqu’ils font les beaux…

Jean Luc Eluard

Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation

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