Avec taux de mortalité de 40 à 75% contre 3% initialement pour la Covid-19, l’épidémie du virus Nipah qui a surgi en Inde a de quoi inquiéter. L’OMS l’a d’ailleurs inscrit sur la liste des maladies prioritaires. Faut-il s’attendre à une pandémie mondiale, comment lutter contre ce virus alors qu’il n’existe pas de vaccin ? Autant de questions pour lesquelles le professeur Charles Cazanave, médecin infectiologue au CHU de Bordeaux apporte un utile éclairage
Quel est ce virus Nipah responsable d’une épidémie en Inde ?
Charles Cazanave : C’est un virus très récemment décrit d’où ce caractère émergent. La première épidémie a eu lieu entre 1998 et 1999 chez les éleveurs de porcs en Malaisie. Le virus a été isolé en mars 1999. Comme pour la Covid-19, c’est un virus à ARN mais surtout, il est assez proche de celui de la rougeole. Il a été baptisé Nipah du nom du village malaisien où il a été identifié la première fois.
Le réservoir de ce virus est animal, il provient surtout des chauve-souris frugivores. Potentiellement, il va infecter les porcs qui sont en contact avec les chauves-souris. Ou alors les porcs consomment des fruits qui ont été contaminés par les excrétas (salive ou urine) de chauve-souris.
Ce type d’épidémie est très liée à la modification de l’écosystème avec la déforestation qui réduit l’habitat des chauve-souris. Et aussi à l’élevage intensif de porc vecteur essentiel de l’épidémie. Le tout dans des régions avec une densité de population élevée comme l’Inde ou le Bangladesh.
Depuis 2001, il y a des épidémies itératives dans ces régions notamment pendant la saison des fruits tropicaux quand les chauve-souris se mettent à manger les fruits.
Quels sont les symptômes et son mode de transmission ?
Charles Cazanave : Cette infection est une zoonose c’est-à-dire une transmission d’un agent infectieux animal à l’homme. La transmission se fait par trois voies. La première est le contact direct avec des animaux infectés. C’est le cas pour les éleveurs de porcs contaminés avant tout par les sécrétions respiratoires des porcs. Ensuite, il y a la transmission indirecte alimentaire : des produits contaminés par la salive ou les urines des chauve-souris comme du jus frais de palmier-dattier consommé par les habitants.
Et la troisième voie, plus complexe et rare : par contamination interhumaine via notamment les sécrétions respiratoires.
L’incubation est d’une dizaine de jours avec quelques cas asymptomatiques. Et les symptômes sont ceux connus pour la grippe : fièvre, courbature et maux de gorge. Et après, comme la rougeole, cela peut évoluer vers deux organes avec des signes neurologiques qui vont de la léthargie jusqu’à l’encéphalite (inflammation du cerveau). Ou encore une atteinte pulmonaire qui va de la toux jusqu’à la détresse respiratoire.
Pourquoi cette nouvelle épidémie du virus Nipah inquiète l’OMS ?
Charles Cazanave : Il y a une contagiosité qui est tout de même importante au sein des animaux. Quand l’homme est contaminé par le biais des animaux, il y a un taux de mortalité très élevé entre 40 et 75 %. Ce qui inquiéterait les autorités sanitaire c’est qu’il y a une souche circulant en Inde et au Bangladesh différente de la souche de Malaisie avec vraisemblablement une mortalité plus élevée.
L’épidémie actuelle au Kerala est la quatrième en cinq ans : le caractère itératif et répété les inquiète.
Par ailleurs, à ce jour, il n’y a pas de vaccin et pas de traitement.
Cette épidémie peut-elle devenir une pandémie mondiale comme la Covid-19 ?
Charles Cazanave : La propension à devenir une pandémie est toujours difficile à prédire. On connaît plus ce virus que celui de la Covid-19 à son apparition car il est connu depuis 1999. Les éléments en faveur d’une propension à sa dissémination est que c’est un virus à ARN comme la Covid-19. Ces virus à ARN ont un fort pouvoir de mutation et donc d’évolution.
En revanche, en sa défaveur, la transmission interhumaine est beaucoup plus faible pour l’instant que celle de la Covid-19.
Par ailleurs, l’Inde a tiré des leçons de la pandémie de la Covid-19 en communiquant très tôt avec une surveillance rapprochée. De plus, des vaccins à ARN sont en cours de développement. De même l’Inde a mis des mesures préventives comme le port du masque dans l’état du Kerala.
Tout cela est très positif.
Propos recueillis
par Alexandre Marsat