L’intelligence artificielle confirme ses promesses dans le dépistage et la prise en charge de différentes tumeurs cancéreuses, notamment du sein et du poumon. État des lieux

L’Intelligence artificielle (IA) attise les craintes comme elle suscite l’espoir. En oncologie, elle pourrait se révéler un précieux outil de dépistage et de prise en charge. En janvier 2020, par exemple, un jeune homme de 30 ans présentant de nombreuses métastases dans le corps est confié à l’équipe du docteur Sarah Watson, oncologue médicale et biologiste à l’Institut Curie. L’objectif : identifier l’origine de ce cancer « de primitif inconnu », c’est-à-dire le premier organe touché, afin d’adopter le traitement le plus ciblé possible.

Des métastases à la disparition de la maladie

Les scientifiques s’attendaient à un sarcome, cancer rare des tissus mous ou de l’os. Finalement, grâce à un outil d’IA qu’ils ont élaboré, ils découvrent que le jeune homme présente un cancer du rein avec 95 % de certitude selon le logiciel. Le patient sera donc traité spécifiquement pour le rein, un protocole sans chimiothérapie, car cet organe y est peu réceptif. En janvier 2023, ce « premier patient » est en rémission complète. 

Pour développer cet outil d’IA, « nous avons utilisé la technique de séquençage nouvelle génération « RNA-seq », qui permet de séquencer tous les gènes exprimés dans une tumeur afin d’établir un « classificateur diagnostique » sur la base des profils d’expression génétique de plus de 20 000 tumeurs et tissus normaux. Nous avons en parallèle mis au point un algorithme de deep learning (apprentissage profond en français), technique d’IA basée sur l’apprentissage à partir d’un grand nombre d’exemples. Nous l’avons entraîné sur la base de données et il a appris à apparier avec succès tel ou tel profil ARN à tel ou tel tissu ou organe, cancéreux ou non », explique le docteur Sarah Watson dans un communiqué de l’Institut Curie.

Depuis la publication des résultats concluants dans la revue scientifique The Journal of molecular diagnostics en juillet 2021, l’utilisation de l’outil développé à Curie s’accélère. Sa diffusion devrait s’accroître avec son intégration au plan France médecine génomique 2025, visant à favoriser l’accès aux nouvelles technologies de la médecine génomique.

À l’Institut Curie, la prise en charge du cancer du sein améliorée

Toujours à l’Institut Curie, un outil d’intelligence artificielle a été validé cliniquement pour le diagnostic du cancer du sein, cancer le plus fréquent chez la femme dans le monde. Il s’agit d’une IA développée avec le fabricant israélien de technologies médicales Ibex medical analytics et permettant de fiabiliser et d’accélérer le diagnostic des lames de biopsies mammaires. Cet algorithme d’IA a été entraîné à identifier plus de 50 caractéristiques mammaires spécifiques (cliniques et morphologiques) grâce à des méthodes d’apprentissage profond sur des centaines de milliers d’échantillons d’images. « À terme, il nous permettra d’optimiser les diagnostics, d’accélérer les décisions thérapeutiques et, au final, d’améliorer la prise en charge de nos patientes », souligne dans un communiqué la professeure Anne Vincent-Salomon, cheffe du département de pathologie de l’Institut Curie.

Cancer du poumon : Sybil le prédit jusqu’à 6 ans à l’avance

Une étude suédoise publiée dans The Lancet en ce mois d’août 2023 montre, elle, que l’IA ferait aussi bien qu’un radiologue pour dépister un cancer du sein, et avec une charge de travail de lecture d’écran (analyse des clichés) réduite de 44,3 %.

Selon des travaux publiés en avril dans Journal of clinical oncology, des chercheurs du Massachusetts institute of technology (Etats-Unis) sont quant à eux parvenus à développer Sybil, un outil d’IA capable de prédire avec une probabilité de 86 % à 94 % le risque de développer un cancer du poumon dans les six ans à venir, à partir d’un seul scanner thoracique à faible dose. Le cancer du poumon est le plus meurtrier dans le monde. Or, aujourd’hui, il est extrêmement difficile à détecter à un stade précoce.

Les limites de l’intelligence artificielle

Si l’IA présente de nombreux atouts en matière de lutte contre le cancer, elle a aussi ses inconvénients : des données d’apprentissages qui peuvent être biaisées ou insuffisantes, un coût élevé, un accès limité, des obstacles d’ordre éthique, etc.

« L’IA constitue un atout majeur pour accélérer les découvertes en oncologie, notamment dans la modélisation des cancers, pour prédire les réponses aux traitements ou le risque de rechute, résume le professeur Fabrice André, directeur de recherche du premier centre de lutte contre le cancer en Europe, Gustave Roussy, à Villejuif (94) dans un communiqué. C’est en associant toutes les formes d’intelligence que nous relèverons le défi de la guérison du cancer ».

L’enjeu est de taille : avec plus de 433 000 nouveaux cas en France métropolitaine en 2023, les cancers représentent la première cause de décès chez l’homme et la deuxième chez la femme.

Florence Heimburger

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