Le saviez-vous ? Depuis le 26 janvier 2016, la vente aux particuliers d’appareils de bronzage est interdite en France… Une mesure de santé publique instaurée 17 ans après le classement des rayonnements ultraviolets artificiels dans la catégorie des agents cancérogènes certains par le Centre international de recherche sur le cancer, le Circ, une agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Aucun doute possible sur l’intérêt de cette disposition.

Et pourtant, en 2023, l’interdiction n’est toujours que théorique.

L’article de la Loi de modernisation de notre système de santé, qui interdit « la vente ou la cession, y compris à titre gratuit, d’un appareil de bronzage pour un usage autre que professionnel », prévoit en effet qu’un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application de cette interdiction. Les directions générales des ministères en charge de la santé et de la consommation ont donc préparé un projet qui, conformément à la mécanique juridique entre l’Europe et ses états membres, a été notifié, c’est-à-dire présenté, à la Commission européenne.

Or, si un projet de réglementation nationale est susceptible, selon la Commission ou d’autres états membres, de créer des obstacles à la libre circulation des marchandises, l’Europe peut bloquer son application. C’est ce qui s’est produit, à la faveur des relations complexes entre la normalisation et la réglementation européennes.

Les raisons invoquées par la Commission européenne pour bloquer le décret français tiennent au fait que les appareils de bronzage tombent sous le coup d’une autre réglementation européenne (directive 2014/35/UE) dite « basse tension », qui réglemente tous les appareils électriques branchés sur le secteur.

La conformité des appareils de bronzage à cette directive est établie à partir d’une norme technique (EN 60335-2-27), qui indique que les appareils de bronzage de type « UV3 » (selon le décret n°2013-1261) peuvent être utilisés par des particuliers dès lors que la sécurité électrique est assurée.

Par conséquent, tout matériel conforme à ces exigences peut circuler librement au sein de l’Union européenne.

Les arguments en faveur de la protection de la santé n’ont pas su renverser la logique réglementaire européenne : la Commission a ainsi rejeté le projet de décret français, qui aurait fait obstacle à la libre circulation sur le marché européen des bancs solaires destinés aux particuliers.

Au passage, toutes les autres dispositions du décret, visant notamment à renforcer l’information des utilisateurs de cabines de bronzage en institut sur les risques pour la santé, ainsi que le contrôle des appareils, n’ont pu à ce jour être mises en œuvre.

Des risques pourtant avérés

Et pourtant, les données scientifiques et sanitaires ne laissent aucun doute sur les risques pour la santé que fait peser la pratique du bronzage artificiel. Comme le souligne l’OMS depuis de nombreuses années : « Cancer, coups de soleil, accélération du vieillissement cutané, inflammation oculaire et immunosuppression transitoire sont tous associés à l’utilisation des appareils de bronzage ».

De nombreux travaux montrent également que l’exposition aux UV artificiels peut engendrer une addiction au bronzage.

Concernant le cancer, de loin l’effet le plus grave, les études les plus récentes permettent de préciser comment le risque de mélanome, par exemple, augmente en fonction des pratiques. Dès 2006, dans une méta-analyse regroupant 19 études épidémiologiques, le Circ mettait en évidence un risque de mélanome encore plus élevé lorsque les expositions aux UV artificiels avaient débuté avant l’âge de 30 ans.

Plusieurs études internationales et méta-analyses ont depuis confirmé que plus la première séance de bronzage en cabine est réalisée jeune, plus le risque de développer une tumeur maligne de la peau (mélanome) augmente.

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Le nombre annuel de séances ainsi que la durée globale d’exposition sont également directement corrélées avec l’augmentation du risque.

L’exposition aux rayonnements ultraviolets émis par le soleil est tout aussi dangereuse, classée également par le Circ dans la catégorie des cancérogènes certains. Des campagnes de prévention contre les risques à s’exposer au soleil sans protection sont d’ailleurs régulièrement diffusées à l’initiative, notamment des pouvoirs publics. Un message qui semble peu à peu être intégré, en particulier pour les jeunes enfants (lunettes, tee-shirts anti-UV, horaires de plage…).

C’est pourquoi la possibilité de s’exposer à des UV artificiels, dont les séances en institut peuvent représenter l’équivalent d’un soleil tropical d’index UV 12, apparaît paradoxale. L’index (ou indice) UV exprime l’intensité du rayonnement ultraviolet et le risque qu’il représente pour la santé : au-delà de l’indice 10, les risques sont extrêmes…

Idées reçues sur les atouts des UV artificiels

De nombreuses idées reçues concernant les UV artificiels persistent en effet, comme le montrent les enquêtes sur le sujet.

Parmi les idées fausses les plus répandues, celle qui consiste à croire que quelques séances en cabine de bronzage préparent la peau au soleil de l’été… Il n’en est rien, au contraire !

La composition des UV artificiels est différente de celle du soleil. Les rayonnements ultraviolets contenus dans la lumière naturelle sont ainsi répartis en trois « bandes », en fonction de leurs longueurs d’onde, des moins aux plus énergétiques : UVA, UVB et UVC. Les cabines de bronzage, en France, émettent principalement des UVA (qui pénètrent plus profondément notre peau, qui de ce fait s’affine et vieillit plus vite), le taux d’UVB étant limité par la réglementation. Toutes les longueurs d’onde des rayonnements UV, via des mécanismes biologiques différents, sont des cancérogènes certains.

Les UV artificiels ne font de plus que colorer la peau, sans déclencher le mécanisme d’épaississement associé à des expositions progressives au soleil. Une étude a ainsi montré un doublement des cas de coups de soleil chez les personnes atteintes de mélanomes utilisatrices de cabines de bronzage.

Et comme il n’y a pas de sensation de chaleur, le risque de brûlure en cas d’exposition prolongée est réel.

Parmi les autres arguments utilisés pour justifier l’intérêt des cabines de bronzage, l’apport en vitamine D ou la lutte contre la dépression saisonnière ont la vie dure. Or, notre organisme la produit suite à son exposition aux UVB… très minoritairement émis par les cabines. Quelques minutes d’exposition au soleil (mains, visage) suffisent largement pour couvrir les besoins normaux en vitamine D… Quant aux effets positifs sur le moral, ils sont inexistants là encore : seule la lumière visible joue ce rôle.

L’impact en France… évitable

Les expositions aux UV artificiels sont facilement évitables, leurs conséquences sur la santé aussi : une étude a estimé, en 2015, que 83 % des mélanomes (3 % des cancers en France) pouvaient être attribués à l’exposition solaire, et 3 % aux appareils de bronzage. Le baromètre cancer 2015 précisait que 1,5 % de Français, dont des mineurs, malgré l’interdiction en vigueur, avaient réalisé des séances de bronzage en cabine.

En faisant l’hypothèse que les mélanomes induits par les cabines de bronzage ont les mêmes conséquences que ceux provoqués par les ultraviolets solaires, entre 19 et 76 décès par an seraient associés à la pratique du bronzage artificiel.

Dès novembre 2009, à la suite du classement par le Circ des UV artificiels comme « cancérogènes certains pour l’Homme », le Brésil a été le premier pays à interdire totalement l’usage des appareils de bronzage. D’autres ont suivi ; les États australiens de Victoria (en 2005), de Nouvelle-Galles-du-Sud (en 2015), puis tous les états australiens depuis le 1ᵉʳ janvier 2016 ont prohibé à leur tour la pratique commerciale du bronzage en cabine.

En France toutefois, la voie réglementaire promet d’être encore longue avant de supprimer une exposition inutile, responsable de nombreux décès. Les trois derniers avis de l’Anses sur les risques pour la santé liés au bronzage artificiel recommandaient pourtant, sans équivoque, « la cessation, à terme, de tout usage commercial du bronzage par UV artificiels et de la vente d’appareils délivrant des UV artificiels à visée esthétique ».

Olivier Merckel, Chef d’unité – évaluation des risques liés aux agents physiques, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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