Saisies records, consommation en hausse, drogue plus « pure »… Quels sont les risques de la consommation de cocaïne ? Le point avec le professeur Laurent Karila, psychiatre addictologue et auteur de plusieurs livres sur le sujet, expert dans l’émission de France TV Ça commence aujourd’hui et du podcast Addiktion

Depuis une trentaine d’années, les saisies de cocaïne ne cessent d’augmenter en France : elles sont passées d’1,8 tonne par an dans la décennie 1990 à 27 tonnes en 2022. Cette évolution est, d’après l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), la conséquence de plusieurs facteurs : la très forte croissance de la production de cocaïne en Amérique latine et la diversification des routes de la cocaïne. Les Antilles françaises jouent un rôle comme zones de transit vers la métropole française et la Guyane française comme source directe à travers le trafic de mules.

Quand l’analyse de l’eau montre une hausse de la consommation

Pour autant, les Français, les Européens en consomment-ils plus ? Il semblerait que oui, selon un rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA). Les données sur les eaux usées municipales des villes européennes effectuant de telles mesures révèlent, pour 32 d’entre elles sur 58, une augmentation des résidus de cocaïne en 2021 par rapport à 2020. En 2022, en France métropolitaine, 2,1 millions de personnes âgées de 11 à 75 ans ont expérimenté la cocaïne et 600 000 en ont consommé dans l’année selon les estimations de l’OFDT.

Toutes les catégories socio-professionnelles sont touchées, du trader à l’ouvrier du bâtiment en passant par le restaurateur, le politique et l’agriculteur. Selon une étude menée sur le littoral atlantique, 8 % des marins-pêcheurs de moins de 35 ans étaient testés positifs à la cocaïne en 2013. Moins chère et plus accessible, la cocaïne est devenue la drogue la plus consommée en France après le cannabis.

Un puissant psychostimulant euphorisant

Le professeur Laurent Karila, psychiatre addictologue à l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif confirme : « La cocaïne a, comme d’autres drogues, envahi l’Europe. Puissant psychostimulant, elle est recherchée pour l’euphorie, l’énergie, les sensations de bien-être et de toute-puissance qu’elle procure. »

Alcaloïde extrait de la feuille de coca, la cocaïne se présente sous forme de poudre blanche, inodore et multi-coupée. Elle est consommée le plus souvent par voie nasale (sniff), parfois pulmonaire (inhalation de fumée ou de vapeurs par voie orale) ou intraveineuse (injection). Quant à la cocaïne base (ou « crack » ou « free base »), elle résulte de l’adjonction de bicarbonate ou d’ammoniac à du chlorhydrate de cocaïne. Elle se présente sous forme de petits cailloux, destinés à être fumés et plus rarement injectés. 

Des conséquences physiques et psychiatriques importantes

Le professeur Karila prévient : « C’est une drogue sournoise : on a l’impression qu’on peut la gérer mais pas du tout, on devient vite accro car elle a un fort pouvoir addictif. On perd le contrôle et la liberté de s’abstenir de consommer. » 
Les risques pour la santé sont légion : « Elle provoque un syndrome coronarien (le risque de faire un infarctus dans l’heure qui suit la consommation est multiplié par 24), et des troubles du rythme cardiaque. Elle multiplie aussi le risque d’accident vasculaire cérébral, d’épilepsie, d’infections (VIH, hépatites B et C, infections sexuellement transmissibles…) liés au partage du matériel (pailles, pipes à crack, seringues…) et à la désinhibition sexuelle. Et des troubles ORL (oto-rhino-laryngologie) : rhinites, saignements, infections, inflammations, nécrose nasale… »

Et d’ajouter : « Pour ceux qui la fument, cette drogue augmente également le risque de nombreuses complications pulmonaires (pneumothorax, infections pulmonaires type « poumons crack »…). Côté gynécologique, le risque de mort fœtale in utero et de fausses couches est décuplé. Côté psychiatrique, ce n’est pas mieux : augmentation du risque de tentatives de suicide, de dépression, d’attaques de panique, de crises de paranoïa, d’épisodes délirants… En outre, la cocaïne altère l’attention, la mémoire, la concentration, la prise de décision… ».

Face à ce cortège de symptômes peu réjouissants, comment s’en sortir ?

Nécessité d’une prise en charge globale

Le professeur Karila précise : « Chaque personne est singulière, et le chemin vers la guérison plus ou moins long. D’abord, il faut faire le diagnostic de l’addiction et celui des troubles physiques et psychiatriques associés. L’objectif est ensuite de stopper la consommation, en passant par différents étapes : abstinence pendant 3 semaines, 3, 6, 9, 12 mois… À l’hôpital où je consulte, j’ai mis en place en 2009 un protocole de soins encadré par un psychiatre addictologue, une infirmière et un psychologue. Il repose sur des consultations régulières, pouvant nécessiter parfois une ou plusieurs hospitalisations de trois semaines, une durée de sevrage qui permet de se désintoxiquer. Il s’accompagne de la mise en place de traitements médicaux, de psychothérapie comportementale (TCC), de la participation à des groupes de parole (exemple : Narcotiques anonymes…), d’un accompagnement par des patients experts, d’une assistante sociale, etc. »

Est-ce efficace ? Le psychiatre indique : « À Paul Brousse, nous atteignons 70 % de réussite au bout d’un an. En revanche, 15 % des patients résistent à tous les traitements. On les accompagne alors dans une consommation à moindres risques. » Et pour les nouveaux abstinents, rien n’est gagné : « Le plus dur c’est l’après. C’est de maintenir l’abstinence dans la durée… », souligne le professeur Laurent Karila.

Florence Heimburger

  • *À lire : On n’a qu’une vie !, éd. Fayard (2022) et éd. Poche (avril 2023), ; Tous addicts et après ? co-écrit avec le Dr William Lowenstein, éd. Flammarion (2017).  
  • **À écouter : Podcast Addiktion du 12 novembre 2021 (Diane, une infirmière sous cocaïne) et du 14 février 2023 (Rose : autodestruction massive à la coke).

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