La guerre trace, dans la vie des individus qui y sont confrontés, une frontière nette entre l’« avant » et l’« après ». Cette épreuve singulière ne signe pas, comme on le croit souvent, une impossibilité de vivre, mais oblige généralement à vivre de façon très différente. L’ébranlement du processus vital qui résulte de cette situation engendre des bouleversements auxquels chaque individu fait face en mobilisant ses capacités d’adaptation. Mais tout le monde ne réagit pas de la même façon.

Pour décrire les mécanismes à l’œuvre, les psychologues de la santé ont forgé le concept de « coping », souvent traduit dans la littérature spécialisée par le terme français « ajustement ». Intimement lié à la notion d’adaptation, le coping désigne notre façon de « faire face » à ce qui nous arrive. Or, selon que notre réaction s’oriente vers les actions à entreprendre pour agir sur la situation, ou qu’elle se centre sur la gestion des états émotionnels qui en résultent, les conséquences ne sont pas les mêmes.

Le coping, qu’est-ce que c’est ?

Au sens large, ce concept désigne la manière dont on fait face à une situation difficile grâce à diverses formes d’ajustement.

Le terme « coping » apparaît pour la première fois en 1966. Il désigne alors un ensemble de stratégies mises en œuvre pour affronter des situations difficiles ou des événements stressants. Ultérieurement, ce terme a fait l’objet d’une conceptualisation plus spécifique, désignant

« l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux constamment changeants, destinés à maîtriser, réduire ou tolérer des impératifs spécifiques internes ou externes qui sont perçus comme menaçant ou dépassant les ressources d’un individu ».

Cette définition marque un changement dans la façon d’aborder la réaction des individus confrontés à des problèmes : d’une part, leur réponse est envisagée en termes de processus changeants, et d’autre part, leur comportement face à la situation n’est pas purement passif mais actif.

Coping et stress

La notion de coping est très fortement liée à la notion d’adaptation. Ce processus dynamique de changement concerne tous les êtres vivants. Schématiquement, il s’agit de la capacité à réagir aux stimulations externes et/ou internes, aux contraintes et aux conflits, en cherchant à réduire ou à éliminer leurs conséquences défavorables par des ajustements divers. La finalité est la survie, et la création d’un nouvel équilibre compatible avec cette survie.

Le stress constitue une telle stimulation externe. Il s’agit de la condition qui émerge quand les transactions personne-environnement amènent l’individu à percevoir une opposition – réelle ou imaginée – entre les exigences de la situation et ses propres ressources, qu’elles soient biologiques, psychologiques ou sociales.

Cette condition de stress implique généralement un processus d’évaluation cognitive qui s’effectue à partir de deux facteurs : l’évaluation primaire, qui évalue si la demande de l’environnement menace l’adaptation de la personne, et l’évaluation secondaire, qui évalue si les ressources disponibles sont suffisantes pour répondre à la demande.

Dans une telle situation, le coping est considéré comme un modérateur des processus qui affectent la relation entre l’événement stressant et les ressources dont dispose un individu pour lui faire face.

Les formes et styles de coping

Dans le cadre d’une étude, des scientifiques ont demandé à 100 adultes, chaque mois, pendant un an, de noter un fait récent qui les avait perturbés et leurs réactions face à cette situation, en répondant à un questionnaire, l’échelle « Ways of Coping Checklist »). Les résultats obtenus ont révélé qu’il existe deux formes principales de coping : le coping centré sur le problème et le coping centré sur l’émotion.

Le coping « centré sur le problème » désigne l’ensemble des efforts comportementaux et cognitifs que fait un individu afin de modifier la situation dans laquelle il se trouve. Cette forme comporte deux aspects essentiels : la confrontation à l’événement, qui se traduit par les efforts pour changer la situation, et la résolution du problème, qui se traduit par la recherche d’un ensemble de moyens – informations, aide – permettant d’y parvenir. La personne fait alors face directement et ouvertement à son problème. Elle agit activement et concrètement, afin de

« modifier directement les termes mêmes de la relation personne-environnement par la mise en place d’efforts comportementaux actifs, consistant à affronter le problème pour le résoudre ».

Le coping centré sur l’émotion renvoie quant à lui à l’ensemble des efforts visant à atténuer et à supporter les états émotionnels déclenchés par la situation stressante. Il existe de nombreuses expressions de cette forme de coping, dont la plupart consistent en des processus orientés vers l’action intrapsychique : évitement (on ne pense plus au problème), distraction, déni, dramatisation, etc.

La personne qui cherche à réduire son stress et ses émotions négatives en utilisant un coping évitant essaie de détourner son attention de la source de stress. Cela peut se traduire par la mise en œuvre d’activités positives pour y parvenir, telles que le sport ou la relaxation. Mais parfois, cela génère des comportements négatifs visant à fuir la détresse émotionnelle, comme la prise d’alcool ou de médicaments.

Coping centré sur le problème et coping centré sur l’émotion ne sont pas deux processus parfaitement séparés : dans une situation donnée, on peut utiliser tantôt l’un, tantôt l’autre, ou les deux ensembles. Par ailleurs, ces deux grandes formes de coping correspondent aux stratégies généralement mises en œuvre, mais il en existe également qui sont plus spécifiques et qui varient d’un individu et d’une situation à l’autre.

Certains auteurs ont proposé de classer le coping actif et/ou évitant selon les stratégies utilisées pour faire face. Ce faisant, on peut distinguer quatre catégories de base :

  • Le coping actif/cognitif qui se traduit par une analyse logique et un recadrage positif ;
  • Le coping actif/comportemental correspondant à une recherche de soutien et à la mise en œuvre d’une action pour résoudre le problème ;
  • Le coping évitant/cognitif, se traduisant par l’évitement cognitif et l’acceptation résignée ;
  • Le coping évitant/comportemental, qui correspond à la recherche d’autres activités et la décharge émotionnelle.

Le coping émotionnel est davantage lié aux troubles de stress post-traumatique

Plusieurs études ont montré que les adultes souffrant d’un trouble de stress post-traumatique étaient nettement plus enclins que les autres à s’engager dans une démarche d’évitement ou de fuite, et donc de non-résolution de problème. En 2007, une méta-analyse avait par ailleurs révélé que l’évitement était un prédicteur du risque de survenue de trouble de stress post-traumatique, de dépression et de détresse. Rappelons que le trouble de stress post-traumatique est la forme la plus commune du psychotraumatisme. Elle se caractérise notamment par la présence de symptômes intrusifs (le trouble de stress post-traumatique se caractérise notamment par l’intrusion de souvenirs persistants qui surviennent de façon incontrôlable, envahissant leur conscience de la victime qui les vit comme de nouveaux événements surgissant dans son présent, ndlr), de comportements d’évitement ou encore de troubles du sommeil.

L’analyse du vécu de victimes d’accident de la circulation a permis de poser un constat similaire. Les sujets qui présentaient un coping orienté vers l’évitement manifestaient plus de symptômes intrusifs que les autres. Une étude réalisée auprès des victimes de la fusillade de l’université Virginia Tech, survenue en 2007 à Blacksburg, aux États-Unis, est parvenue aux mêmes conclusions, de même que des travaux de recherche menés auprès de victimes du terrorisme.

Dans le même ordre d’idée, il a été observé que les symptômes de trouble de stress post-traumatique étaient plus sévères chez des soldats israéliens qui avaient utilisé des stratégies émotionnelles pendant la guerre israélo-palestinienne. D’autres travaux portant sur une cohorte de sujets suivie pendant un an ont montré que, parmi les participants ayant subi le plus d’événements stressants pendant cette période, ceux qui ont utilisé préférentiellement des stratégies évitantes avaient beaucoup plus de symptômes psychosomatiques à la fin de l’étude (maux de tête, maux d’estomac) que ceux qui ont utilisé des stratégies actives.

Par ailleurs, des auteurs se sont penchés sur la valeur prédictive du devenir du trouble de stress aigu chez les victimes de crimes violents. On considère généralement qu’un trouble de stress aigu dont les manifestations cliniques (reviviscence répétitive des évènements, évitement, troubles de l’humeur, hypervigilance, irritabilité, difficultés de concentration, troubles du sommeil…) durent plus d’un mois doit amener à poser un diagnostic de trouble de stress post-traumatique. Les résultats obtenus ont montré que le type de coping était un facteur à intégrer pour expliquer pourquoi le trouble de stress aigu ne se transforme pas systématiquement en trouble de stress post-traumatique.

Tout se passe donc comme si les victimes de traumatisme qui adoptent une stratégie de coping orientée vers l’évitement (ou une stratégie de coping peu orienté sur les problèmes) sont plus à risque de manifester au fil du temps un trouble de stress post-traumatique.

À l’inverse, les recherches récentes ont montré qu’un coping centré sur le problème réduit la tension subie par l’individu en éliminant (ou en atténuant) le stresseur. Les personnes qui ont recours à cette stratégie semblent moins susceptibles d’être sujettes à l’anxiété et la dépression.

Pourtant, tout n’est pas si simple, car l’efficacité d’une stratégie de coping dépend aussi des caractéristiques de la situation, et notamment de sa durée, ou de la contrôlabilité du stresseur.

L’importance de la contrôlabilité de la situation et du délai de réaction

Dans des situations contrôlables (ou perçues comme telles) un coping centré sur le problème apparait comme plus efficace contrôlable qu’un coping centré sur l’émotion, car il est associé à une faible détresse ultérieure. Un tel effet s’inverse en revanche dans les situations incontrôlables. En effet, face à un événement incontrôlable, les efforts répétés du sujet pour maîtriser la situation sont inutiles et épuisants.

Dans ce cas, une stratégie émotionnelle évitante peut s’avérer plus adaptée, en particulier à court terme. Elle évite en effet d’être trop stressé et permet un travail psychique permettant progressivement d’évaluer la situation de façon plus réaliste et de mettre en place des stratégies d’affrontement. Elle protège l’estime de soi et permet de ne pas être submergé par la détresse.

L’efficacité relative des stratégies de coping semble aussi varier en fonction du temps qui s’écoule après l’événement stressant ou traumatique. Un coping émotionnel n’est protecteur qu’immédiatement après cet événement.

Il n’existe donc pas de stratégie de coping efficace en elle-même. L’efficacité de la stratégie mise en place dépend de certaines caractéristiques propres aux individus (capacités d’évaluation) et aux situations (durée, contrôlabilité). En outre, l’efficacité d’une stratégie de coping varie selon le critère considéré (bien-être émotionnel, santé physique…). Tout ceci illustre bien le fait que le coping est un processus transactionnel entre la personne et son environnement.

Réussir à adopter la stratégie de coping la plus adaptée

En définitive, de nombreux travaux ont montré que les stratégies de coping pouvaient amortir les impacts psychiques d’une exposition traumatique. Cette capacité de résilience et de maintien d’un certain équilibre psychologique et physique, suite à la confrontation à des événements traumatiques ou indésirables, semble se potentialiser chez les sujets capables de « jongler » sur l’ensemble du registre cognitif et affectif du coping. Les personnes capables d’utiliser différentes stratégies de coping s’adapteraient mieux aux situations qui mettent leur vie en danger.

La nature des stratégies de coping mises en œuvre peut être un indicateur à prendre en compte pour mieux comprendre pourquoi un stress ou un trouble de stress post-traumatique va avoir un impact plus ou moins grand selon les individus. Toutefois, il convient de ne pas en rester là, et de trouver ensuite des moyens de se défaire de ces états cliniques.

Pour faire face au stress, on peut se tourner vers des méthodes de gestion des émotions, l’activité physique, la méditation, la cohérence cardiaque, une approche basée sur le contrôle de la respiration. En ce qui concerne le trouble de stress aigu ou le trouble de stress post-traumatique, il faudra plutôt se tourner vers la psychothérapie, qui est plus à même d’apporter des réponses efficaces.

Cyril Tarquinio, Professeur de psychologie clinique, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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