La température des eaux de surface a battu des records cet été en Méditerranée. Faut-il s’en réjouir ? Pas vraiment, répond l’océanologue Catherine Jeandel, directrice de recherche au CNRS, LEGOS à Toulouse et co-pilote du Programme Prioritaire de Recherche « Océan et Climat »

« Nous avons tous été sidéré cet été par l’intensité des incendies qui ont frappé la Gironde ou les monts d’Arrée en Bretagne. Ces incendies ont fait l’objet d’une large couverture médiatique. En revanche, on a beaucoup moins parlé des vagues de chaleur marines observées dans le même temps en Méditerranée qui s’apparentent pourtant à de véritables incendies sous-marins.

Cela flambe aussi sous la surface des flots

Cet été, la Méditerranée a connu une vague de chaleur marine inédite. Le 19 juin 2022, au large de Nice ou autour de la Corse, les eaux de surface ont atteint 30°, soit 6° de plus par rapport aux normales saisonnières. Un tel phénomène n’est pas nouveau, mais ces canicules sous-marines ont gagné en fréquence et en intensité depuis qu’elles sont observées. 

Une simulation récente, conduite par S. Somot (CNRM, Toulouse) et Sofia Darmaraki (Univ. Dalhousie, Canada), publiée en 2020, montre que si les émissions de gaz à effet de serre se maintiennent au niveau actuel, ces canicules sous-marines seront quatre fois plus longues et quatre fois plus intenses dans un futur proche. Ce qui s’est passé cet été préfigure donc ce qui nous attend en 2050, si nous n’adoptons pas des comportements plus sobres.

Des impacts catastrophiques pour la biodiversité marine

Cette canicule sous-marine a eu des impacts catastrophiques sur la biodiversité marine, notamment pour les gorgones rouges, une espèce endémique de Méditerranée. Plus de 90% des gorgones rouges vivant entre 10 et 30 mètres de profondeur ont été touchées par une mortalité quasi totale ! Les herbiers de posidonie, une plante à fleur marine qui représente un écosystème unique, ont aussi très mal vécu ces vagues de chaleur. A certains endroits, on observe même une mortalité massive.

On assiste également à une tropicalisation de la Méditerranée qui se manifeste par l’installation de nouvelles espèces adaptées aux eaux chaudes. Plus de 900 espèces non indigènes, arrivées via le canal de Suez, ont déjà été recensées. Des méduses, mais aussi des poissons-lapins qui broutent tout sur leur passage, en particulier les posidonies déjà très menacées. Sans compter le crabe bleu qui s’installe dans le golfe du Lion à la place des anguilles. En Tunisie, sa prolifération a déjà contraint les pêcheurs tunisiens à transformer leur activité. Mais il n’y a pas de fatalité. Il est encore temps d’arrêter d’émettre des GES, avec deux mots d’ordre : sobriété et changement de système socio-économique! » 

Propos recueillis
par Alexandrine Civard-Racinais

Pour aller plus loin : 

• Le site de la plateforme Océan & Climat.

• Conférence « L’océan de l’anthropocène » présentée par Catherine Jeandel, le 7 octobre 2021 à Villeurbanne.

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