Le geai des chênes et le renard roux font partie des espèces vouées à la destruction en raison des dégâts qu’ils occasionnent. Pourtant ils rendent, aussi, bien des services à la biodiversité et aux hommes. Au point que certains chercheurs appellent à une réévaluation du bénéfice/risque

Tordons d’abord le cou à une idée largement diffusée. Les nuisibles n’existent pas… y compris dans les textes réglementaires, ou ce terme a disparu au profit d’une périphrase alambiquée. Depuis 2018, on parle désormais d’« espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » (ESOD). Douze espèces* indigènes, telles que le sanglier, le geai des chênes, ou le renard roux, et six espèces non indigènes comme le raton laveur sont concernées. Toutes vouées à la « destruction » en raison des dommages causés à nos activités économiques.

Une notion dépassée

Pourtant, « une espèce n’est pas en elle-même utile ou nuisible. Elle ne l’est que vis-à-vis des intérêts humains, intérêts qui varient à travers le temps, l’espace, et entre les individus », avaient tenu à rappeler les experts du CSPNB** dans un avis du 17 février 2016, appelant à repenser ces catégories. Et d’insister : « Toutes (ces espèces) contribuent au cycle de la vie ».

Dans un article, publié le 3 juillet 2020 par la revue Biological Conservation, le chercheur Frédéric Jiguet (MNHN-CNRS-SU), appelle pour sa part « à mettre en balance (les dommages et risques causés par les animaux), avec les services écosystémiques qu’ils peuvent fournir, en considérant aussi les dimensions économiques ».

Le geai, jardinier des chênaies

Le geai des chênes (Garrulus glandarius) fait partie de la famille des corvidés, accusés de causer des dégâts aux cultures, raison pour laquelle ils font l’objet de destructions. 1 145 000 d’entre eux sont ainsi tués chaque année en Europe, dont une grande partie en France. Pourtant le geai est « un jardinier précieux des chênaies européennes ».

En prévision de la disette hivernale, cet oiseau est capable de récolter, transporter et d’enfouir cinq à dix mille glands. « Chaque gland est régurgité puis enterré au fond d’un trou d’un à deux centimètres, (…) profondeur idéale pour garantir sa germination » au printemps suivant, note Jacques Tassin, chercheur en écologie végétale au CIRAD dans son ouvrage « Le chêne ». Car une partie de ces glands non consommés et enfouis deviendront de beaux chênes.

Bien que les glands représentent 50% de son alimentation, le geai des chênes se sert parfois dans les parcelles de maïs, ce qui justifie son abattage. Photo DR Daniel Godinou / LPO

Le renard, allié des agriculteurs

Le Renard roux (vulpes vulpes), victime de sa réputation de « voleur de poules », est aussi accusé d’être porteur de l’échinococcose, maladie parasitaire due à un ténia. 500 000 goupils sont ainsi abattus chaque année. Pourtant, « les renards sont des régulateurs naturels de ravageurs potentiels de l’agriculture », souligne Frédéric Jiguet, professeur au MNHN.

En consommant des rongeurs, les renards réduisent aussi le nombre d’hôtes porteurs de tiques, vectrices de la bactérie Borrelia burgdorferi, « avec des effets en cascade permettant de réduire le risque de maladie de Lyme ». Sachant que nous sommes passés de 25 000 à 68 530 cas humains par an entre 2009 et 2020 (contre 30 cas humain d’échinococcose par an en moyenne), « ne pas réguler les populations de renard est bénéfique pour la santé humaine ».

Évaluer les bénéfices/risques

En résumé, conclut Frédéric Jiguet « il est urgent d’évaluer sérieusement les conséquences économiques de la prédation par le renard sur le gibier et les volailles d’élevage, pour voir s’ils s’équilibrent avec les services écosystémiques fournis et ré-évaluer la nécessité de réguler, voire même de chasser le renard », ainsi que les autres espèces encore considérées comme « nuisibles » en dépit du changement de dénomination.

Alexandrine Civard-Racinais

  •  L’État a retiré le putois de la liste des “nuisibles” par un arrêté publié au Journal Officiel le 14 mai 2022.

• A lire : Gilles Macagno. Mauvaise réputation (Delachaux & Niestlé). Très bien documentée et pleine d’humour, cette bande dessinée donne la parole aux malaimés et à quelques « nuisibles » soucieux de défendre leur réputation et leur peau !

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