Coastal erosion reveals the extent of ice-rich permafrost underlying active layer on the Arctic Coastal Plain in the Teshekpuk Lake Special Area of the National Petroleum Reserve - Alaska. Credit: Brandt Meixell, USGS

Et si, sous l’effet des hausses de températures dues au changement climatique, le dégel du pergélisol (permafrost), ces sols durablement gelés, libérait des virus et bactéries endormis depuis longtemps ? Jean-Claude Manuguerra, virologue à l’Institut Pasteur, répond à propos de ces menaces

« Le réchauffement climatique anthropique provoque aujourd’hui la fonte du pergélisol (permafrost en anglais), ces sols en principe durablement gelés, qui couvrent 30 millions de km2 sur la planète, dont environ la moitié en Arctique. Ce dégel libère petit à petit ce qui y était retenu prisonnier depuis longtemps et, potentiellement, des virus et bactéries faisant ré-émerger des maladies du passé.

Ce fut notamment le cas en 2016 en Sibérie : un jeune garçon de 12 ans est mort de la maladie du charbon ou « anthrax », provoquée par la bactérie Bacillus anthracis. Suite à un été anormalement chaud, le pergélisol retenant la carcasse d’un renne infecté avait partiellement fondu, libérant la bactérie mortelle.
Sous forme de spores, le pathogène résiste à des conditions difficiles de températures et d’humidité, notamment dans le permafrost.

Mais la plupart des bactéries et virus type variole, rage, rougeole sont très fragiles et incapables de survivre à la décongélation de la glace. En outre, pour commencer une chaîne épidémique, il faudrait qu’au moment du dégel, le virus infecte un être humain et que celui-ci en rencontre ensuite plusieurs autres…

Des virus géants intacts découverts en Arctique

En 2014, le chercheur Jean-Michel Claverie et ses collègues du laboratoire information génomique et structurale de l’Institut de microbiologie de la Méditerranée à Marseille ont mis en évidence des mimivirus en Arctique. Cela a fait couler beaucoup d’encre car ces Pithovirus et Mollivirus, en particulier, étaient enfouis dans le sol à 30 mètres de profondeur et ont survécu à 30 000 ans de congélation avant d’être réveillés par les chercheurs. Heureusement, il ne s’agit pas de virus conventionnels : à mi-chemin entre les virus et les bactéries, ces microbes très anciens sont inoffensifs pour les humains et les animaux mais capables d’infecter des amibes (micro-organismes unicellulaires).

Par ailleurs, on a trouvé des séquences du génome du virus H1N1 de la « grippe espagnole » de 1918 dans la dépouille d’une jeune inuite de 18 ans conservée dans le permafrost. Mais pas l’ensemble du génome.

La fonte du permafrost libère du méthane, gaz à effet de serre

Beaucoup de virus et bactéries très virulents se rencontrent dans l’environnement sans être conservés par le froid. On trouve par exemple de l’anthrax en France, notamment en Moselle, dans les « champs maudits », où le bétail ne doit pas paître.

La pandémie de Covid-19 est suffisamment préoccupante pour ne pas se soucier du risque, infime, de la potentielle libération d’agents pathogènes par le dégel du permafrost. Cette fonte devrait nous inquiéter plutôt parce qu’elle libère du méthane, gaz à effet de serre. D’après plusieurs études publiées le 11 janvier dans la revue Nature reviews earth & environnement, le pergélisol contiendrait le double du CO2 présent dans l’atmosphère et menace de dégeler.

Par ailleurs, le changement climatique peut entraîner une augmentation des maladies par l’extension des pathologies transmises par les moustiques (paludisme, dengue, chikungunya, etc.) et le changement d’usage des terres (urbanisation, déforestation, etc.). L’intrusion de l’homme dans la nature ou l’exploitation de celle-ci par les humains augmente leurs risques d’être infectés par Ebola, Marburg ou la fièvre jaune, des pathologies qui concernent habituellement les singes et/ou les chauve-souris…»

Jean-Claude Manuguerra est virologue et responsable de l’unité « environnement et risque infectieux » à l’Institut Pasteur à Paris.

Propos recueillis
par Florence Heimburger

 

 

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