Young beautiful woman tanning at the beach with sunscreen cream on her shoulder, UV protection and skincare concept

La mode du « Do-it-Yourself », qui consiste à tout fabriquer par soi-même, peut s’avérer plus ou moins risquée selon le domaine concerné. S’agissant de la protection solaire, l’enjeu est particulièrement important, puisqu’il s’agit de limiter le risque de survenue de cancers cutanés

En s’éloignant des produits mis au point par les experts, et en s’en remettant à ceux élaborés par ses pairs, le consommateur peut avoir l’impression d’éviter de tomber dans la gueule du loup de la chimie industrielle, mais en réalité, il expose sa peau aux crocs du soleil.

L’évaluation de la composition et de l’efficacité des formules proposées sur Internet révèle en effet qu’elles ne sont généralement pas adaptées pour se protéger des rayons ultra-violets.

Nous avons récemment testé 15 recettes de crèmes solaires « à faire soi-même » disponibles sur Internet. Trois des 15 recettes étudiées ne contenaient aucun filtre solaire et constituaient donc un risque majeur pour les utilisateurs en cas d’exposition au soleil. Pour les 12 autres, le facteur de protection solaire était inférieur à 6, la valeur seuil en Europe pour pouvoir considérer qu’un cosmétique entre dans la catégorie des produits de protection solaire.

Des recettes qui manquent de précision et de filtres UV

Sur Internet, de nombreux blogs tenus par des particuliers n’ayant pas une formation spécifique dans le domaine cosmétique proposent des formules maison antisolaires. Une recherche rapide permet de trouver un grand nombre de recettes de produits solaires maison dont les compositions sont assez similaires.

Les formules « quali-quantitatives » ne sont pas d’une extrême précision, les quantités étant exprimées dans des unités variées (g ou ml), ou rapportées à des ustensiles variés (cuillères à soupe, compte-gouttes…). L’oxyde de zinc, utilisé en tant que filtre protecteur anti-UV, est ainsi présent dans les recettes à des concentrations très variables (de 4,5 à 35 %), dont certaines dépassent la dose limite d’emploi, qui est de 25 %.

Pire encore : certains blogs vont jusqu’à proposer des formules de crèmes solaires maison qui ne contiennent aucun filtre UV ! On citera, par exemple, les mélanges suivants :

  • huile de karanja, beurre de karité, huile de coco, huile de carotte ;
  • beurre de karité, huile de coco, huile essentielle de myrrhe, huile essentielle de carottes, huile essentielle de lavande ;
  • huile de coco, beurre de karité, huile de jojoba, de sésame ou de tournesol, vitamine E, huile essentielle de lavande, d’eucalyptus ou de menthe poivrée.

Certains de ces ingrédients semblent avoir été choisis en s’appuyant sur une étude indienne parue en 2010. Ses auteurs, Chanchal Deep Kaur et Swarnlata Saraf, attribuaient en effet à différents corps gras et huiles essentielles un facteur de protection solaire (ou SPF pour « sunburn protection factor ») de valeur élevée.

Le problème est que les travaux de ces chercheurs reposent sur un protocole inapproprié, basé sur des échantillons en solution alors qu’habituellement les tests se font sur support solide, et selon un mode de calcul différent. Basés sur la méthode de Diffey et Robson, nos propres travaux (en cours de publication) n’ont pas confirmé ces résultats, loin de là.

Alors que Chanchal Deep Kaur et Swarnlata Saraf attribuent à l’huile de coco un SPF de 7,119, nos tests ont déterminé un SPF de 1. L’huile essentielle de menthe poivrée obtenait quant à elle un SPF de 6,668 pour une dose d’emploi de 1 % (1 % d’huile essentielle pour 99 % d’excipient – en solution hydroalcoolique). Ce résultat en ferait un produit surpuissant, plus performant que les meilleurs filtres UV du marché, puisque ces derniers procurent un SPF de 20 pour une dose d’emploi de 10 % (soit 2 unités SPF par pour cent) ! Cependant, nos propres mesures n’attribuent à la menthe poivrée utilisée pure, sans dilution, qu’un SPF de 1.

Évoquons également le cas de l’huile de pépins de framboise, à la mode depuis que des chercheurs lui ont attribué un pouvoir photoprotecteur élastique allant de… 28 à 50 !

Sans surprise, les adeptes du Do-it-Yourself font de cette huile (telle quelle, sans aucun ajout) un produit photoprotecteur. Une blogueuse vivant sous les tropiques y voit même un « jackpot », ne faisant d’ailleurs confiance qu’aux huiles végétales et aux huiles essentielles pour se protéger des UV.
De leur côté, des fournisseurs d’ingrédients cosmétiques comme Oh Lou lou vantent aussi les mérites de cette huile, « l’un des rares miracles de la nature qui offre une protection solaire naturelle sans détruire la vie marine comme l’oxyde de zinc ou le dioxyde de titane ».

Or, des travaux visant à réévaluer de façon plus rigoureuse les pouvoirs photoprotecteurs de plusieurs huiles végétales ont montré que le SPF de l’huile de pépin de framboise est beaucoup plus bas que celui évalué par les travaux cités plus haut. Même constat de notre côté : le SPF obtenu par nos soins est de 1.




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Flou artistique sur le SPF

Divers sites dont le nom évoque le conseil médical proposent aussi de faire des économies en se servant d’huile de graines de carottes ou d’huile de pépins de framboise rouge pour se protéger du soleil. Ailleurs, des adeptes du zéro déchet proposent de fabriquer une huile solaire SPF 28+ (mention qui n’existe pas en matière de SPF affichable) composée de 30 ml d’huile de pépins de framboise et de 20 ml d’huile de coco.

Des blogueuses plus aguerries en matière de formulation multiplient quant à elles les corps gras dans leurs recettes, mais elles mélangent les pesées en gramme, les cuillères à café, les cuillères à soupe, les gouttes d’huiles diverses et même des feuilles de menthe entières pour obtenir des produits solaires dont le SPF est déterminé… à la louche !

Notons que d’autres voix se montrent plus nuancées : bien que mentionnant un SPF de 28 à 50 concernant l’huile de pépins de framboise, elles recommandent cependant d’utiliser plutôt cette huile le matin pour hydrater la peau, et la nuit pour la réparer et l’apaiser, en ajoutant que les huiles végétales « ne sont bien entendu pas suffisantes pour se protéger d’une exposition intensive au soleil ».

Dans les faits, quand certains blogs se gardent bien d’annoncer un SPF en regard de la formule proposée, d’autres franchissent le pas en recommandant par exemple d’incorporer 5 % d’oxyde de zinc pour obtenir un SPF de 2 à 5, 10 % pour un SPF de 6 à 11, et 20 % pour un SPF supérieur à 20… Non seulement ces SPF sont-ils indiqués de façon totalement arbitraire, mais il faut aussi rappeler qu’en application des recommandations européennes, un produit dont le SPF est inférieur à 6 ne peut pas être qualifié de produit de protection solaire.

Méfiance envers les experts, confiance envers ses pairs

Selon Opinionway, la mode du Do-it-Yourself est à mettre en lien avec l’envie de faire des économies : étant préparés avec des produits du quotidien, les cosmétiques maison sont supposés être moins coûteux que les produits industriels. Cette mode témoigne aussi d’une défiance envers les experts et à l’opposé d’une confiance envers ses pairs : des entrepreneurs, espérant surfer sur cette vague, interrogent d’ailleurs leur communauté sur les ingrédients qu’il conviendrait de mettre dans la formule qu’ils sont en train de mettre au point.

Notons à ce sujet qu’en pointant du doigt très régulièrement un certain nombre de filtres UV, certains titres de presse peuvent conforter les consommateurs dans leur défiance, quand bien même celle-ci n’est pas scientifiquement justifiée. Cet effet est en outre renforcé par le fait que diverses marques surfent sur cette tendance pour des raisons marketing, apposant à tort et à travers des mentions « sans » qui peuvent brouiller le message pour les consommateurs.

Le cas de l’octocrylène illustre bien cette situation. Ce filtre UV efficace s’est récemment retrouvé sous les feux des projecteurs, car une étude a montré qu’il se dégradait en benzophénone, un composé cancérigène, dans certaines conditions. Dans son avis du 31 mars 2021, le Scientific Committee on Consumer Safety (Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs – comité scientifique indépendant chargé d’émettre des avis sur les substances non alimentaires pour le compte de la Direction générale de la Santé de l’Union européenne) a déclaré que l’emploi de l’octocrylène demeurait sûr lorsque les doses maximum autorisées étaient respectées. Pourtant, diverses marques apposent désormais la mention « sans octocrylène » sur leurs produits.




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On signalera qu’indiquer « sans octocrylène » alors que cette substance n’est pas interdite peut être considéré comme contrevenant au règlement n°655/2013 de l’Union européenne concernant les allégations (autrement dit les éléments de communication pouvant être mis en avant par les marques). En effet, le texte rappelle notamment que : « Les allégations relatives aux produits cosmétiques doivent être objectives et ne peuvent dénigrer ni la concurrence ni des ingrédients utilisés de manière légale ». En outre, soulignons que les produits industriels « sans octocrylène » contiennent d’autres filtres UV dont il n’est pas toujours possible aux scientifiques d’évaluer le comportement, car protégés par le secret industriel.**

Rappelons pour conclure qu’en 2017, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé avait mis en garde les fabricants de cosmétiques sur leur politique de communication, en soulignant qu’une huile végétale type huile de karanja ne pouvait aucunement être considérée comme un produit solaire.

Au-delà des avis aux industriels, la sensibilisation des consommateurs à l’inefficacité des crèmes solaires maison (et donc la dangerosité de leur emploi) nous semble essentielle. Pour cette raison, nous communiquons régulièrement sur le sujet sur les réseaux sociaux. Car en matière de cosmétique comme dans d’autres domaines, rien ne vaut l’expertise d’un professionnel !

Céline Couteau, Maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie, Université de Nantes, Auteurs historiques The Conversation France et Laurence Coiffard, Professeur en galénique et cosmétologie, Université de Nantes, Auteurs historiques The Conversation France

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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