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Le mardi 16 mars, le géant Uber a reconnu un statut de salarié à ses chauffeurs du Royaume-Uni. Cette décision, inédite pour l’entreprise, donne de l’espoir pour les chauffeurs du reste des pays où la société est implantée

En France, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, a missionné fin décembre 2020 trois spécialistes pour réfléchir sur la régulation des relations entre travailleurs indépendants et plates-formes numériques. Leur rapport a été rendu le 12 mars 2021, l’objectif initial étant que l’ordonnance soit déposée au plus tard le 24 avril 2021.

Se questionner sur la représentation syndicale des travailleurs des plates-formes semble nécessaire pour répondre aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer. L’apparition des plates-formes a donné à ces travailleurs un grand espoir qui a rapidement laissé place à une forte désillusion.

Notre analyse, basée sur une recherche auprès de 30 chauffeurs travaillant pour Uber, montre que ces travailleurs ont choisi de collaborer avec les plates-formes pour l’aspect financier et l’autonomie qui était mise en avant par ces dernières.

Désillusion des chauffeurs

Rapidement, la liberté recherchée par le chauffeur est limitée, entrainant une désillusion des chauffeurs. Par exemple, aucune négociation sur les marges prises par la plate-forme Uber n’est possible.

Un interviewé le confirme :

« Quand j’ai signé mon contrat avec la plate-forme, je n’ai pas pu négocier quoi que ce soit ».

Les chauffeurs sont également très contraints par le type de voiture qu’ils doivent acheter. Leurs options en termes de couleur ou d’année de fabrication du véhicule restent limitées. La relation avec le client prive également le chauffeur de son autonomie : les clients peuvent réagir directement auprès de la plate-forme en évaluant le conducteur et la qualité de la prestation sans que cette évaluation soit toujours analysée par la plate-forme. Si cette dernière est trop faible, le chauffeur peut être déconnecté et exclu de la plate-forme sans préavis. Il doit alors recontacter la plate-forme et perd quelques jours de chiffre d’affaires.

La désillusion porte aussi sur la marge que prend la plate-forme. Uber a modifié sa marge unilatéralement en 2017 en passant de 20 à 25 %. Les bonus promus sont aussi peu présents sur le long terme et amènent les chauffeurs à rencontrer des difficultés financières importantes pour rembourser leurs prêts.

Enfin, la désillusion reste très forte au niveau social : leur image a été ternie par certains actes de chauffeurs comme des agressions sexuelles, et ce malgré une communication active des plates-formes sur le sujet.

Organiser une représentation syndicale

Face à cette grande désillusion, les chauffeurs ont réagi et mis en place des stratégies différentes. La première consiste à organiser une représentation syndicale de leur activité (six cas). Ne se considérant pas comme des salariés classiques, les chauffeurs ont cherché à créer leur propre structure syndicale et une certaine méfiance envers les syndicats traditionnels a été observée.

Néanmoins, certains collectifs de chauffeurs ont été soutenus par les syndicats classiques comme la CGT ou la CFDT. Leurs revendications portent en grande partie sur leur souhait de conserver leur indépendance, de pouvoir négocier avec les plates-formes et de modifier ainsi le rapport de force.

La stratégie n’est pas de quitter ou de faire disparaître la plate-forme mais de la faire évoluer. Les chauffeurs se montrent particulièrement pro-actifs, notamment car ils font face à des enjeux financiers importants. Plusieurs actions ont été organisées, comme l’intervention auprès de l’ex-ministre des Transports Élisabeth Borne, ou encore des blocages sur le périphérique. Dans certains cas, les revendications ont pu être violentes et aller à l’encontre de la stratégie initiale.

L’illégalité comme mode de survie

La deuxième stratégie consiste à contourner le système en adoptant des comportements déviants (dix cas). Par exemple, les chauffeurs allongent dangereusement leur temps de travail pour compenser la perte de bénéfices qu’ils subissent.

L’un d’entre eux témoigne :

« Je travaille 70 heures par semaine ».

Cet allongement du temps de travail a des conséquences sur la santé des chauffeurs. Les difficultés rencontrées augmentent le stress, qui génère un comportement déviant, qui à son tour augmente encore le stress. Certains partagent leur voiture avec d’autres conducteurs pour réduire leurs coûts d’exploitation.

Enfin, d’autres ne déclarent pas tous leurs revenus aux services fiscaux, ou cumulent leurs revenus avec les indemnités de chômage. Parmi eux, certains vont même jusqu’à anticiper comment réagir s’ils se faisaient prendre à ne pas respecter les règles.

Ces chauffeurs font le choix de rester dans cette illégalité pour survivre. L’investissement réalisé ayant été trop important, revenir en arrière n’est pas possible. Pour mettre en place ces différentes stratégies, ils s’appuient sur un véritable réseau, et bénéficient des conseils d’autres chauffeurs. Étant régulièrement sur la route, ils communiquent via des groupes Facebook ou sur WhatsApp.

Quitter son emploi

La troisième stratégie identifiée est de quitter cette activité professionnelle difficile, en espérant la reprendre lorsque les conditions seront meilleures. Pour certains, reprendre un emploi salarié semble la solution tandis que d’autres optent pour la création d’une entreprise.

Analyser la représentation syndicale des travailleurs des plates-formes sans prendre en compte les difficultés qu’ils peuvent rencontrer ne permet d’aborder qu’une partie du problème. La prise en compte des comportements déviants et des choix de réorientation doivent conduire le législateur à engager une véritable réflexion sur les plates-formes. Nous invitons les pouvoirs publics à repenser le rapport de force entre travailleurs et plates-formes. Requalifier les chauffeurs en tant que salariés n’est pas forcément la réponse souhaitée par les chauffeurs. Leur permettre de réaliser une activité rentable et en toute autonomie semble être la solution souhaitée par les chauffeurs.

Au niveau syndical, les organisations doivent poursuivre la prise en compte de ces statuts particuliers et leur souhait d’indépendance, dans un contexte où la crise de la Covid-19 vient complexifier cette activité qu’il convient de préserver.The Conversation

Pauline de Becdelievre, Maître de conférence/ enseignant-chercheur, Ecole Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-Saclay; François Grima, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Lionel Prud’homme, Directeur, HR Management School, IGS-RH

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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