Portrait of young male student using laptop and learning online at the university library. Education and lifestyle concept.

Malgré leur fermeture au public au printemps 2020, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie, les universités ont assuré la continuité pédagogique, ont largement participé aux recherches sur le Covid-19, se sont invitées dans le débat public, et ont su, comme de nombreuses autres organisations, généraliser rapidement le télétravail pour assurer la production et la diffusion des connaissances.

Les mouvements de l’« open » ont joué un rôle important dans cette adaptation rapide. Ils sont issus du mouvement des logiciels libres, initié par Richard Stallman avec le système d’exploitation libre GNU dans les années 1980. Cette philosophie est portée la Free Software Foundation et se fonde, selon Richard Stallman, sur les principes chers à la devise nationale française : « liberté, égalité, fraternité ».

Ce qui en fait l’originalité, c’est l’objet auquel elle s’applique : le logiciel, qui est non rival, c’est-à-dire qu’en donner une copie n’en prive pas la personne qui la donne, contrairement à un objet physique comme un livre par exemple. Rapidement, les gens se sont rendu compte que ces principes pouvaient s’appliquer à tout type de données informatiques et on a vu naître les mouvements « open data » qui libère les données, « open éducation » qui libère les ressources éducatives, « open science » qui libère les productions scientifiques, « open hardware » qui libère les plans de fabrication d’objets physiques.

Infrastructures

Toutes les qualités des logiciels libres ont été à nouveau démontrées lors de cette crise. L’infrastructure logicielle des établissements d’enseignement supérieur a pu par exemple être adaptée au télétravail très rapidement en déployant des VPN (réseaux privés virtuels) : grâce au logiciel libre OpenVPN, les personnels pouvaient accéder aux logiciels « métiers » comme s’ils étaient dans leurs bureaux, alors que les accès extérieurs à ces logiciels manipulant des données sensibles sont habituellement bloqués.

Pour faciliter les classes virtuelles et les réunions à distance, on a vu un déploiement rapide de logiciels de travail collaboratif libres (jitsi, BigBlueButton, etherpad, nextcloud, mattermost, peer-tube…). Le fait que ces logiciels soient libres a permis une très forte réactivité car on n’a pas été obligé de passer par des prestataires pour les déployer et les intégrer aux systèmes d’information des établissements, ce qui aurait fait perdre un temps précieux.

Dans la préparation de la rentrée, comme on est moins dans l’urgence, les établissements peuvent prendre le temps d’éventuellement s’appuyer sur des prestataires pour bénéficier d’une aide extérieure sur des solutions logicielles libres ou privatives.

Ressources éducatives

Le mouvement de l’open éducation au sens d’Open Education Global est un mouvement de fond qui est cependant mal connu, en particulier des enseignants. Il consiste en premier lieu à la production, la mise à disposition et le référencement de ressources éducatives réutilisables, voire modifiables, par d’autres enseignants que leur producteur initial. Par exemple, l’Université de Lille maintient une liste des ressources emblématiques qu’elle développe et met à disposition librement sur le kiosque lillois de l’innovation pédagogique.

La libération des ressources éducatives est un enjeu de démocratisation de l’enseignement puisque le but est de faire tomber certaines barrières à l’accès aux documents et manuels pour les enseignants, mais aussi pour les apprenants, ici ou ailleurs, maintenant ou plus tard. Elle vise à construire des communs de l’éducation. En effet, si l’auteur ne donne pas explicitement le droit de réutiliser une ressource, toute réutilisation est interdite par le droit d’auteur. Il faut donc explicitement la libérer en utilisant par exemple une des licences Creative Commons.

En France, depuis une dizaine d’années, ce sont en particulier les Universités Numériques Thématiques qui portent ce mouvement dans l’enseignement supérieur, référençant plus de 30000 ressources qui vont du simple texte au dossier comprenant vidéos, exercices ou jeux sérieux.

L’université numérique.

Mais, comme le dit la Commission européenne, l’« open education » est plus vaste et comprend toute démarche ouverte visant à diffuser au plus grand nombre la connaissance. Elle comprend ainsi notamment la science ouverte qui vise à diffuser librement les résultats de la recherche scientifique. C’est bien l’idéal de la libre circulation du savoir qui est ici recherché.

La Commission européenne et le gouvernement français ont une vraie politique de science ouverte depuis quelques années et imposent que tous les travaux issus de projets financés par des fonds publics soient accessibles gratuitement aux citoyens.

Au-delà des publications scientifiques, il y a la question de l’ouverture des données de la recherche. Là aussi, le gouvernement prône l’ouverture systématique des données de la recherche financée sur fonds publics. Cette politique de science ouverte est coordonnée par le comité pour la science ouverte depuis 2018. Cette ouverture des données, matérialisée par exemple sur la plate-forme européenne Covid-19 Data Portal, a permis une formidable accélération de la recherche sur la pandémie Covid-19.

Si l’on prend l’exemple de l’université de Lille, la task force montée avec les partenaires du site lillois a produit en 3 mois cinq articles de recherche, tous en accès ouvert, ainsi que vingt articles destinés au grand public sur The Conversation.

Réflexion commune

La force de ces mouvements « open » repose sur la collaboration au sein de communautés. Celle-ci est une des valeurs fondamentales de la science. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de dispute entre chercheurs – ce qui est bien normal quand on s’intéresse à l’inconnu – mais c’est en confrontant les idées que la recherche avance. Et pour confronter les idées, il faut qu’elles soient exprimées ouvertement.

De même pour l’enseignement, il est bien plus efficace d’élaborer ensemble des ressources dont pourront se servir chacun des membres de la communauté plutôt que de construire un cours chacun de son côté. Cela n’empêche pas la liberté pédagogique du choix parmi les supports disponibles et du parcours pédagogique proposé aux étudiants par chaque enseignant.

Comment préparer à moyens constants, et dans un temps très court, une rentrée incluant de probables mesures de distanciation physique qui risquent de diviser par 2 environ la capacité des salles d’enseignement ? Si on veut avoir une chance de ne pas trop dégrader la qualité de l’apprentissage de nos étudiants, il faudra collaborer ouvertement et se saisir de toutes les ressources ouvertes déjà existantes.

Cette crise pourrait être une très belle occasion de plus de mettre en valeur la collaboration au lieu de la compétition, et les outils techniques et juridiques de cette collaboration. Certains chercheurs pensent que la collaboration marche aussi dans le domaine de l’innovation et parlent d’« open innovation » comme d’un moyen pour les entreprises de se relever plus vite de la crise économique provoquée par la pandémie. Le monde d’après sera-t-il plus « open » ? Espérons-le.The Conversation

Pierre Boulet, Professeur d’informatique, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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