jardin

Pour celles et ceux qui ont la chance de posséder un coin de verdure, la période de confinement a offert l’occasion de jardiner, s’adonner à l’exercice physique ou simplement – aujourd’hui plus que jamais – de contempler. Contempler la végétation généreuse en ce printemps avancé, son cortège de pollinisateurs virevoltant autour des premières fleurs ; contempler les oiseaux chanteurs donnant fièrement de la voix.

Pourtant, tous les jardins ne connaissent pas la même vitalité. Ils sont d’abord le reflet des paysages alentour : un jardin bordé de monoculture hypertraitée abritera une biodiversité certainement plus pauvre, malgré l’effet refuge dont pourront bénéficier quelques espèces. Mais le degré d’attractivité tient beaucoup à nos comportements. Ce sont nos pratiques qui garantissent la bonne santé du jardin et des écosystèmes qu’il renferme.

Nos jardins, refuge pour le vivant en ville

Parmi tous les préjudices que nous infligeons au vivant, la disparition des habitats est sûrement le plus préoccupant. Tous les 10 ans, l’étalement urbain engloutit une surface équivalente à celle d’un département. Les conséquences de l’artificialisation des sols se manifestent de plusieurs façons : appauvrissement de la diversité des espèces et homogénéisation – les plus adaptables prospérant au détriment des plus exigeantes en matière d’alimentation et/ou d’habitat.

Face à ces pressions croissantes, de nombreuses espèces trouvent refuge dans les lieux les moins bétonnés : friches urbaines, cimetières, jardins publics mais également les jardins privés. Si l’on prend un peu de hauteur, nos arrière-cours, aussi restreintes soient-elles, constituent une immense mosaïque à l’échelle du pays. Les 17 millions de Français propriétaires de jardins gèrent en réalité, collectivement, plus d’un million d’hectares. Soit une surface 4 fois plus étendue que celle des Réserves naturelles de France.

Au cimetière du Père-Lachaise (Paris).Steven Soper/Flickr, CC BY-NC-SA

Mais c’est au cœur des agglomérations que nos jardins sont les plus utiles. Éparpillés au milieu des zones bétonnées, ils représentent tout de même la moitié des espaces verts urbains en Île-de-France, 36 % à Paris et entre 24 et 47 % dans des grandes villes britanniques.

Ces oasis de verdure sont capables d’offrir le gîte et le couvert à de multiples espèces : des plantes dont se nourrissent les insectes, des fleurs qui attirent des pollinisateurs, des coins tranquilles pour les oiseaux, les lézards et les petits mammifères. Mieux : de proche en proche, les jardins forment des corridors écologiques le long desquels ces organismes circulent. Selon une récente étude, un jardin est d’autant plus riche en d’insectes pollinisateurs qu’il est entouré d’autres jardins dans un périmètre de 50 à 100 mètres.

Moins de pesticides, plus de plantes nectarifères

Encore faut-il que lesdits jardins soient accueillants. Avec la volonté des urbains de se reconnecter à la nature et l’éveil des consciences environnementales, les jardiniers renouent petit à petit avec des pratiques douces et adaptées. Les critères écologiques rattrapent désormais les critères esthétiques, souligne ainsi une récente enquête.

Quarante années d’utilisation zélée de produits phytosanitaires sont passées par là (les jardins des particuliers représentent 9 % de la consommation française). Notre vieille tradition hexagonale consistant à tailler tout ce qui dépasse, également. Qu’est-ce que le jardin « à la française » incarné par les magnifiques œuvres symétriques d’André Le Nôtre, sinon du contrôle, du travail, et finalement peu de biodiversité ?

Plans des jardins du domaine de Chantilly imaginés par André Le Nôtre au XVIIᵉ siècle.Wikimedia

Cette dernière, pour s’épanouir, réclame au contraire un minimum de gestion et un maximum de laisser-faire : plantes sauvages, bois mort, sol nu, friche… Une mosaïque d’habitats pour une multitude d’espèces. En ce sens, le traditionnel jardin anglais, reposant lui sur l’irrégularité et la diversité de la nature, se montre bien plus accueillant.

Grâce aux suivis de biodiversité effectués tous les ans par des dizaines de milliers d’observateurs participant au programme de science participative Vigie-Nature, nous pouvons désormais quantifier ces relations et identifier les pratiques favorables, ou non, à la biodiversité. Nous avons ainsi montré que les compteurs de papillons recensent en moyenne deux fois plus d’espèces lorsqu’ils n’utilisent pas de pesticides et davantage d’individus.

L’explication ? Les papillons, comme de nombreux insectes volants, sont très vulnérables aux produits phytosanitaires : directement – par la toxicité des produits – et indirectement, dans le cas des herbicides qui privent à la fois les insectes et leurs larves de garde-manger et de refuge.

Parmi les actions positives : l’implantation de végétaux riches en nectar – ronces, trèfles, arbres à papillons, centaurées, lavande, thym, romarin, etc.

D’après nos relevés participatifs, plus ces plantes nectarifères sont présentes dans leurs jardins, plus les observateurs mentionnent de papillons. Or le fait de diminuer les pesticides et d’augmenter la diversité des plantes du jardin profite, par effet de cascade, à tout l’écosystème. Les services écosystémiques comme la pollinisation s’en trouvent renforcés. Ainsi, par extrapolation, si les 17 millions de jardins actionnaient ne serait-ce que ces deux leviers fondamentaux, les bénéfices seraient théoriquement considérables.

L’« opération papillons » du programme de science participative Vigie-Nature. (Vigie Nature, 2018).

Les changements par les interactions avec la nature

Mais comment induire un glissement vers des pratiques vertueuses à grande échelle ? Pour faire de nos jardins de véritables havres de biodiversité, une petite révolution culturelle doit s’amorcer.

Selon de nombreux travaux en psychologie environnementale, la simple fourniture d’informations ne suffit pas à provoquer des changements de comportement. Les « expériences de nature », autrement dit l’immersion dans un écosystème, l’observation attentive, les interrogations afférentes, soient un préalable nécessaire au passage à l’action.




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Un phénomène que nous venons tout juste d’observer chez les participants de l’Opération papillons. Après 8 ans de comptages, les jardins ont été fortement enrichis en plantes nectarifères. Sur la même période, les observateurs ont aussi réduit drastiquement leur utilisation de pesticides.

Comment interpréter cette évolution ? Les participants ont probablement établi des liens entre l’arrêt des produits chimiques, l’augmentation de certains végétaux et in fine celle des papillons. De profondes expériences de nature – ici, des interactions fortes et répétées avec les papillons – sont parvenues au fil du temps à influencer les comportements.

À la suite du Grenelle de l’environnement, le plan Ecophyto 2008 s’était donné comme objectif de réduire de 50 % l’usage des pesticides au niveau national, dans un délai de dix ans. Si les effets de ce plan sont très décevants dans le monde agricole (l’usage de produits phytosanitaires a augmenté de 12 % entre 2009 et 2016), la vente de ces produits est désormais interdite aux particuliers.

Mais il reste beaucoup à faire, individuellement. Ces petites actions bénéfiques localement sont complémentaires des politiques environnementales. La protection de la nature s’opère aussi bien dans les réserves naturelles que devant chez soi. À grande échelle, les jardins peuvent freiner l’érosion de la biodiversité en restaurant les connexions dans les écosystèmes urbains.

Le confinement aura constitué un bon moment pour rendre nos jardins plus accueillants à la biodiversité. Cela vaut aussi pour les jardinières de balcons, où laisser pousser des plantes spontanées sera à la fois moins coûteux et favorable aux insectes. Vivons des expériences de nature en comptant les papillons, les bourdons, les oiseaux grâce aux sciences participatives. Ou simplement en observant, en contemplant ce qui nous entoure, en jardinant. Invitons la biodiversité à s’installer chez nous !


Hugo Struna – journaliste et rédacteur du blog de Vigie Nature, un programme de sciences participatives porté par le Muséum national d’histoire naturelle – est co-auteur de cet article.The Conversation

Nicolas Deguines, Chercheur postdoctoral en écologie et biologie de la conservation, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Benoît Fontaine, Ingénieur en biologie de la conservation, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image par Rebekka D de Pixabay

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