réouverture des écoles

Une épidémie est un processus dynamique, les défis à relever évoluant en permanence. Dans la gestion de la crise du Covid-19, il s’agit alors de « trouver un délicat équilibre entre la protection de la santé, la prévention des risques économiques et sociaux et le respect des droits de l’homme », comme l’a indiqué le directeur général de l’OMS le 12 mars dernier.

Outre-Manche, le « Chief Medical Officer for England », l’équivalent du directeur général de la santé en France, a souligné la nécessité d’intégrer dans la décision politique une large variété de paramètres, au-delà de la protection du système de soins et de la prise en charge des malades. Il appelait à être conscient des différents types de mortalité auxquels nous faisions et ferions face :

  • la mortalité liée directement au Covid-19,
  • la mortalité indirecte liée à l’impact de l’épidémie sur le système de soins
  • la mortalité liée aux conséquences sanitaires de la crise économique et sociale générée par le confinement.

Décidée mi-mars 2020 en France, la fermeture des écoles et des établissements est l’une des mesures majeures de lutte contre l’épidémie. En conférence de presse le 19 avril, le Premier Ministre Edouard Philippe a noté que, pendant cette période de confinement et d’enseignement à distance, le lien a été perdu avec une proportion non négligeable d’élèves, de l’ordre de 5 % à 10 %.

C’est pour cela qu’il faut « commencer à rouvrir les écoles », a-t-il assuré. Mais celles-ci « n’ouvriront pas partout le 11 mai et ne fonctionneront pas dans les conditions dans lesquelles elles fonctionnaient avant le confinement ».


Pour le syndicat enseignant SNES-FSU, « quelle que soit la date, aucune reprise n’est envisageable si les conditions sanitaires garantissant la sécurité et la santé des élèves et des personnels ne sont pas réunies ». Pour mieux cerner les scénarios possibles, jetons un regard sur la situation internationale et les études disponibles.

L’expérience de Taiwan

La fermeture des établissements scolaires a un impact sur l’ensemble des élèves et joue un rôle d’amplificateur des inégalités. L’école, ce n’est en effet pas seulement un lieu d’apprentissage, c’est aussi un milieu de vie.

Ainsi, outre ses incidences sur l’acquisition de connaissances et la santé psychologique des enfants, la fermeture prive les plus vulnérables de l’accès à la cantine et du soutien de la communauté éducative, alors même que le confinement aggrave les problèmes matériels des familles et les violences domestiques.

Selon une revue de littérature publiée dans le Lancet, lors des épidémies antérieures de coronavirus (SARS, MERS), la transmission dans les écoles a été très faible, voire absente. De récentes études de modélisation pour l’épidémie de Covid-19 notent que les fermetures d’écoles auraient un impact minime (2 à 4 % des décès) et seraient moins efficaces que d’autres mesures de distanciation sociale. Pour autant, le virus responsable de la crise actuelle n’est pas suffisamment connu pour tirer des conclusions définitives.

Au-delà de ces études, nous pouvons nous appuyer sur les retours d’expérience des pays qui n’ont pas fermé les écoles ou les ont rouvertes depuis suffisamment longtemps. La situation de Taiwan fait figure de référence dans la gestion de la crise, le nombre de cas étant resté très limité malgré la proximité avec la Chine continentale. Ce résultat est largement dû à la préparation des institutions, à un travail intersectoriel poussé à tous les échelons et à la précocité de la réaction. À l’échelon national, les règles suivantes ont été édictées :

  • Si un enseignant ou un élève est atteint, il ne fréquente plus l’école pendant 14 jours.
  • Si deux ou plusieurs enseignants ou élèves sont confirmés comme ayant contracté la maladie, l’école entière est fermée.
  • Si un tiers des écoles d’un canton ou d’une ville sont fermées en raison d’infections, toutes les écoles seront fermées.

En classe et dans les cantines, les élèves sont séparés les uns des autres par des cloisons en plastique entre les tables. Des contrôles de température systématiques sont effectués et le port du masque est obligatoire.

Une étude réalisée auprès d’élèves du secondaire a montré une excellente intégration des mesures barrières et le fait qu’une majorité d’élèves (70 %) considèrent que ces mesures n’ont pas affecté leur apprentissage.

Même si toute comparaison doit être réalisée avec prudence du fait des différences de contextes, ces éléments peuvent éclairer la réflexion en France.

Des dispositifs territoriaux

Dans la période qui s’ouvre, l’enjeu est de penser une organisation du système éducatif qui permette à la fois des apprentissages efficaces et qui protège la santé des élèves et des enseignants.

Comme le niveau de risque épidémique, la vulnérabilité sociale et sanitaire des élèves, les caractéristiques des locaux disponibles diffèrent d’un territoire, voire d’un établissement à l’autre. Il apparaît ainsi qu’une démarche associant un cadre national d’aide à la décision et des dispositifs de pilotage territoriaux rassemblant élus, acteurs de l’éducation, de la sécurité, du transport scolaire et de la santé publique, est potentiellement adéquat.




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Le défi principal sera de créer sans délai les conditions d’un travail collectif concret et efficace à l’échelon territorial. Il ne s’agit pas simplement de s’assurer du respect des règles, de la bonne compliance des acteurs mais bien de s’appuyer sur leurs savoirs forgés au contact des élèves, d’élaborer la stratégie en prenant en compte leur expérience, leurs propositions, leurs inquiétudes.

Outre la mise à disposition de ressources permettant d’organiser la vie à l’école, un temps significatif doit être dévolu à la concertation. Une prérentrée est sans doute nécessaire pour préparer l’accueil des élèves.

Par ailleurs, il est nécessaire que les professionnels puissent bénéficier de formation, d’un accompagnement intersectoriel (santé et éducation) et de ressources. Des recueils d’outils ont été élaborés à l’échelon international.

Les données de la recherche confirment clairement la pertinence de la distanciation sociale et des lavages fréquents des mains ou l’utilisation d’une solution hydro-alcoolique. Concernant le port du masque, même s’il n’assure pas une protection physique suffisante, il constitue un rappel très visuel des dangers du virus et pourrait agir comme un « coup de pouce comportemental » soutenant l’engagement des personnes.




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Un véritable plan de réouverture devra être établi pour chaque établissement, il pourra concerner le fonctionnement des transports scolaires, l’hygiène des locaux, l’accès aux sanitaires pour se laver les mains, la mise à disposition de masques, les modalités de circulation dans l’établissement, la réorganisation des salles de classe pour augmenter l’espace entre élèves.

Il devra prendre en compte aussi l’échelonnement des récréations et des pauses déjeuner pour diminuer le nombre d’élèves présents simultanément dans les différents espaces, la réduction des déplacements des élèves (dans le secondaire par le fait que ce soit les enseignants qui se déplacent de classe en classe et non les élèves), la réduction de la durée de la semaine de cours, la séparation des classes en deux groupes présents successivement dans les établissements…

Déconfinement : les gestes barrières à l’épreuve de l’école (CNEWS).

La période qui vient de s’écouler a conduit à explorer de nouvelles modalités pédagogiques. Une grande majorité des enseignants et des parents se sont bien accommodés à l’enseignement à distance mais une minorité d’entre eux rencontrent des difficultés significatives. Des dispositifs spécifiques devront être stabilisés pour s’assurer que tous les élèves puissent disposer des moyens de travailler.




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Compte tenu du fait qu’il sera très probablement nécessaire de réorganiser les temps de présence en établissement scolaire et à la maison, il convient d’ores et déjà de se préparer à des modalités d’enseignement hybride et à une individualisation plus grande des parcours des élèves.

Une pédagogie renouvelée

On ne fait pas la santé des gens contre eux. Indépendamment des consignes nationales, l’absentéisme des élèves comme des professionnels peut être très élevé du fait tant de la maladie que de retraits volontaires. En ce qui concerne les mesures de distanciation, il apparaît que, si les activités et les contacts diminuent, ils ne cessent pas. Ceci est particulièrement vrai pour les enfants dont les parents n’étaient pas d’accord avec la fermeture des écoles.

Il est essentiel de donner les moyens à chacun de comprendre pourquoi on rouvre les écoles alors que la « guerre » contre le virus n’est pas gagnée. Après une phase aiguë ayant pour priorité de protéger la capacité d’accueil des services d’urgence et de réanimation hospitaliers, sans doute faut-il permettre à chacune et chacun d’avoir une vision plus opérationnelle de l’épidémie pour sa propre vie quotidienne. Deux inflexions peuvent être suggérées.

  • En premier lieu, il n’est pas raisonnable de se placer dans une vision magique de la résolution de la crise avec un médicament miracle ou un vaccin. Aucun élément ne permet de garantir que de tels traitements seront disponibles à court terme. Il faudra donc apprendre à vivre avec le virus comme c’est le cas pour d’autres coronavirus, le HIV et Ebola. Les épidémies de SARS, MERS, sida et de maladie à virus Ebola n’ont pas été maîtrisées par des traitements médicaux mais principalement par l’acquisition de compétences citoyennes (dépistage et prévention).
  • Deuxièmement, pour comprendre comment vivre avec le virus, il semble important d’aider chacun à bien percevoir que nous sommes dans un processus adaptatif lié à la dispersion d’un virus au sein des populations humaines. Au bout de ce processus s’établira un nouvel équilibre sans que le virus ne disparaisse mais sa transmission sera limitée. Si un vaccin peut être mis au point, il permettra de s’assurer de l’immunisation de la population en minimisant les risques.

À la réouverture des classes, il sera sans doute nécessaire de mettre à distance l’épidémie et de se focaliser sur d’autres objets. Pour autant, il sera également indispensable que les élèves puissent renforcer leurs connaissances sur les micro-organismes (et pas seulement les virus), faire évoluer leurs représentations vers une vision plus écologique du rapport entre monde vivant microbien et santé, travailler sur les médias et l’esprit critique…

S’appuyer sur les données disponibles, tant celles issues de la recherche que celles fondées sur l’expérience des pays ayant réussi à contenir l’épidémie sans fermer l’ensemble des écoles peut permettre non seulement de mettre en œuvre les solutions les plus adaptées à notre contexte, mais aussi de donner les moyens à l’ensemble de la population de comprendre la situation et d’agir en conséquence.

Après la phase initiale de lutte contre l’épidémie, il faut apprendre à vivre avec le virus. Pour cela, il n’existe pas de base scientifique univoque qui indiquerait la démarche à suivre. L’enjeu est de savoir agir en condition d’incertitude sur la base de repères toujours limités.

Au-delà des questions techniques, il faudra revoir les façons de travailler, renforcer l’intersectorialité, articuler des savoirs d’origine diverses, développer les capacités de décision et d’action à l’échelon des territoires…


Merci à Min Chien Tsai de l’université Fu Jen de TaipeiThe Conversation

Didier Jourdan, Professor, holder of the UNESCO chair and WHO collaborating center for Global Health & Education, Université Clermont Auvergne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image par Gabriele Lässer de Pixabay

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