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10 millions d’hectares ont déjà brûlés en Australie où la biodiversité sera durablement appauvrit. Pour Philippe Grandcolas, écologue reconnu internationalement, directeur de recherche au Muséum d’histoire naturelle, l’impact est irréversible avec 1 million de milliards d’animaux morts

 

Pourquoi la biodiversité australienne est-elle si riche ?

« L’Australie est un continent qui est isolé depuis plusieurs millions d’années et a eu une indépendance géographique pendant très longtemps. De fait, elle a développé une flore et une faune endémique considérables. Celles-ci ont évolué en relatif vase clos. On connaît tous les espèces emblématiques comme le koala ou le kangourou. Mais on a ici beaucoup de mollusques, de plantes, d’animaux, d’insectes et de champignons qui sont endémiques et existent uniquement sur ce territoire ou presque. Ces organismes se répartissent en outre dans la diversité de climats en Australie qui va du tropical humide ou sec désertique voire au tempéré sec.

Malheureusement, ce sont des climats qui évoluent rapidement sous les effets du changement climatique. Dans le Sud-Est qui est très forestier, on a de plus en plus une grande aridité estivale avec l’augmentation de températures et des pics qui favorisent les risques d’incendie ».

On parle d’un milliard d’animaux morts en Australie, est-ce réaliste ?

« Absolument, cette estimation est basée sur des densités qui ont été évaluées à plusieurs reprises de manière très sérieuse sur des territoires particuliers comme la Nouvelle-Galles du Sud. Puis ces densités ont été multipliées par la surface impactée par les feux.

Et ce sont des chiffres qui sont basés uniquement sur les grandes espèces de vertébrés comme les mammifères, les oiseaux et les reptiles. En réalité, si on prend en compte l’ensemble des animaux, on observe que les chiffres sont absolument colossaux. On estime aujourd’hui qu’il y a 1 million de milliards d’animaux tués.

Même si il y a quelques animaux qui arrivent à s’échapper des surfaces incendiées, ils vont être en danger. Ils vont se trouver dans des circonstances dramatiques avec un manque de nourriture, de couvert végétal et une exposition aux pollutions des feux diverses et variées. De toute façon, leur survie sera très compliquée.

Même si on peut discuter du bilan qui sera à faire, dans tous les cas, à la fin de la saison sèche (qui ne fait que commencer), cela sera dramatique.  Il y a énormément de relations intimes entre les organismes, l’écosystème sera alors déstabilisé durablement. Par exemple, les insectivores n’auront plus d’insectes, les insectes manqueront également aux plantes qui demandent des pollinisations, etc.
Avec ces feux, la communauté biologique est perturbée. La capacité de certains organismes à revenir ou de certains végétaux à repousser plus facilement sur des milieux incendiés va faire que la composition de ces milieux va changer. L’écosystème va donc être modifié et appauvri puisque la plupart des espèces n’ont pas cette capacité ».

Quels sont les effets à long terme de ces feux ?

« La biodiversité aura du mal à se reconstituer comme je l’ai expliqué. D’autant plus que ce n’est pas un évènement isolé. Ce n’est pas Notre-Dame qui brûle suite à une négligence ou un problème, c’est une évolution très négative liée au changement climatique.

Une dynamique annoncée de longue date par le GIEC et qui avait permis aux institutions scientifiques australiennes de  prévoir que le nombre de jours à risque de feux allaient augmenter en 2020 et il continuera à augmenter d’ici 2050. On est dans une situation où, dans les années à venir, il faut s’attendre avec des étés très secs, des températures extrêmes et par conséquent, potentiellement de nouveaux incendies.

Même si il y a une certaine capacité de régénération naturelle, la tendance des années à venir c’est de revivre des évènements de ce type qui vont contrarier cette régénération.

Certes les incendies régressent momentanément mais il y a déjà eu 10 millions d’hectares ravagés. Il y a des conséquences irréversibles. Tous les scientifiques sont unanimes : à l’échelle du globe, on est face à la plus grande crise d’extinction de biodiversité de l’histoire de l’humanité ».

Propos recueillis
par Alexandre Marsat

Image par Holger Detje de Pixabay

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