En 2018, la parution d’une nouvelle étude sur l’apprentissage d’une deuxième langue a fait grand bruit dans la presse britannique. De la BBC au Daily Mail, en passant par le Guardian, toute une série de gros titres ont transmis ce message déprimant : il serait impossible d’arriver à parler couramment une langue étrangère en débutant son apprentissage après l’âge de 10 ans environ. Tous ces comptes rendus ont en fait considérablement déformé les conclusions de l’étude, renvoyant une information erronée.

D’une part, la question de l’aisance dans une langue, ou de l’aptitude à la parler couramment, n’apparaît jamais dans l’étude originale, publiée dans la revue Cognition. Il y a une bonne raison à cela : ce n’est pas ce qui intéresse les auteurs de cette recherche, ni d’ailleurs les autres scientifiques qui travaillent sur l’apprentissage des langues étrangères.

Parler couramment une autre langue signifie que vous êtes capable de communiquer avec une relative aisance, sans que cela ne crée de contrainte pour le locuteur comme pour l’auditeur. Le président de la République française, Emmanuel Macron, parle couramment l’anglais, même si l’on peut discerner clairement que ce n’est pas sa langue maternelle, par exemple quand il utilise le mot « delicious » au lieu de « delightful ».

Presque tout le monde est capable d’apprendre à parler à peu près n’importe quelle langue, à peu près à n’importe quel âge. Il n’est même pas vrai que les enfants les plus jeunes apprennent les langues plus vite que ceux qui sont un peu plus âgés : si vous exposez différents groupes d’âge au même volume d’enseignement dans une langue étrangère, les plus âgés s’en sortiront invariablement mieux, pour leurs premiers pas, comme sur le long terme.

Les apprenants de tout âge peuvent acquérir une maîtrise brillante du vocabulaire d’une autre langue, presque du niveau d’un natif, même lorsqu’il s’agit de structures aussi complexes que des idiomes ou des proverbes.

La question d’une période critique

Concernant les apprenants plus âgés, ce qui laisse perplexe – comme l’ont constaté aussi les auteurs de la nouvelle étude – c’est qu’ils semblent avoir plus de difficulté à maîtriser certains fonctionnements grammaticaux.

Un bon exemple de ces difficultés tient à la terminaison « s » qui s’ajoute aux verbes conjugués à la troisième personne du singulier : on dit « I/you/we/they walk » mais « he/she walks ». Beaucoup de personnes apprenant l’anglais en langue seconde continuent à se tromper sur ce genre de règles relativement simples, même s’ils ont une maîtrise étonnante du vocabulaire.

Cependant, il semble que si vous apprenez une langue plus jeune, vous aurez plus de facilité à maîtriser ce type de structures avec lesquelles se débattent les apprenants plus âgés ; idem pour l’acquisition d’un bon accent.

Les linguistes restent partagés sur la raison pour laquelle les locuteurs plus âgés peinent à maîtriser certains points de grammaire. Certains – y compris les auteurs de l’étude publiée dans la revue Cognition souscrivent à l’hypothèse dite de « la fenêtre critique ». Ils suggèrent que nous avons un mécanisme spécial dans notre cerveau qui s’applique exclusivement à l’apprentissage d’une langue, et que ce mécanisme « s’éteint » aux alentours de la puberté – l’âge auquel la plupart des locuteurs maîtrisent leur langue maternelle.

D’autres chercheurs soutiennent que les performances légèrement en retrait des apprenants plus âgés ne tiennent pas à des compétences spécifiquement linguistiques. Ils suggèrent plutôt que cela s’explique par ces changements de circonstances qui se produisent lorsque les gens avancent dans leur vie, comme le fait d’avoir moins de temps pour apprendre, le déclin des aptitudes générales à apprendre et à mémorisation, ou un sentiment d’identité plus stable.

Pas de rupture à 10 ans

Ce qu’il y a de nouveau dans l’étude Cognition, c’est que, conformément aux standards des enquêtes linguistiques, elle s’appuie sur un panel de données d’une ampleur sans précédent. Grâce à un questionnaire de grammaire partagé sur les réseaux sociaux, les auteurs ont collecté plus de 700 000 réponses, les deux tiers provenant de gens dont l’anglais est la seconde langue.

Ils ont constaté que l’exactitude des réponses au test a fortement décliné pour les apprenants qui ont commencé à apprendre l’anglais à partir de l’âge de 17 ans, bien loin du cap des 10 ans sur lequel la plupart des reportages se sont focalisés.

Il s’agit d’une nouvelle étude et je pense qu’à l’avenir, de nombreux chercheurs auront recours à de tels outils et collecteront bien plus de données que nous n’avons été capables de le faire jusqu’ici. Cela éclairera et orientera sans aucun doute le débat scientifique sur l’existence ou non d’une période critique. Mais l’affirmation selon laquelle cette étude suggère qu’on serait trop vieux pour apprendre une langue étrangère après l’âge de 10 ans est l’un des plus flagrants malentendus que j’ai jamais vus concernant un résultat scientifique.

La question de savoir comment et pourquoi on s’approprie des règles de grammaire dans une seconde langue a des implications importantes pour la théorie linguistique, mais elle est de peu de conséquence pour l’apprenant. Vous pouvez devenir bilingue à n’importe quel âge, et de petites imperfections de grammaire ou d’accent ne font qu’ajouter un certain charme.

Apprenez une nouvelle langue. Apprenez un nouvel instrument. Lancez-vous dans un nouveau sport. Ou ne faites rien de tout cela. Mais quelle que soit votre décision, ne mettez pas votre âge en cause.The Conversation

Monika Schmid, Professor of Linguistics, University of Essex

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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